Analyse


Balance bénéfice - risque de la gabapentine et de la prégabaline dans la lombalgie chronique


15 02 2019

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Shanthanna H, Gilron I, Rajarathinam M, et al. Benefits and safety of gabapentinoids in chronic low back pain: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. PLoS Med 2017;14: e1002369. DOI: 10.1371/journal. pmed.1002369


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse basée sur des études de (très) faible qualité méthodologique montre une balance bénéfice risque clairement défavorable pour la gabapentine et la prégabaline dans l’indication lombalgie chronique aspécifique, avec des preuves d’efficacité clinique très limitées voire nulles, des effets indésirables fréquents et un coût non négligeable.


Que disent les guides de pratique clinique ?
La lombalgie chronique, dont l’étiologie est toujours multiple et souvent liée à des facteurs psycho-sociaux plutôt qu’à une affection organique spécifique, nécessite un suivi rapproché, coordonné et pluridisciplinaire. Les traitements médicamenteux ont une place limitée dans ce suivi, et leur balance bénéfice-risque doit à chaque fois être évaluée avec précaution et communiquée au patient. On observe actuellement une augmentation de la consommation des médicaments opioïdes pour les douleurs chroniques, ce sujet a notamment été mis à l’ordre du jour d’une réunion de consensus de l’INAMI. La gabapentine et la prégabaline, vu leur risque de consommation récréative, de dépendance et de toxicomanie, ne doivent pas être prescrites hors de leurs indications reconnues, à savoir certaines douleurs neuropathiques, pathologies convulsives ou trouble anxieux généralisé. Le guide de pratique clinique NICE recommande explicitement de ne pas prescrire d’antiépileptique dans les douleurs lombaires chroniques. Cette synthèse méthodique de bonne qualité méthodologique mais basée sur des études de (très) faible qualité méthodologique confirme ce message.



Les lombalgies chroniques, par convention définies par une durée supérieure à 3 mois (1), restent un problème d’une grande prévalence : dans l’enquête santé de 2013 (2), 20,8% de la population belge de 15 ans et plus déclarait avoir souffert de problèmes au niveau du dos au cours des 12 mois qui ont précédé l’interview. Même si une grande majorité des lombalgies aiguës évolue spontanément vers la guérison dans les premières semaines, 64,3% de ces patients avaient été suivis à ce sujet par un professionnel de santé. Cette enquête montre une relation inverse entre la prévalence des lombalgies et le niveau d’éducation des personnes, ce qui corrobore le lien entre lombalgies chroniques et facteurs psycho-sociaux identifiés dans la littérature (3).

Dans la lombalgie chronique, dont l’étiologie est le plus souvent non spécifique (qui concerne plus de 85% des lombalgies), le recours aux soins est quantitativement important et qualitativement très varié, orienté tantôt vers des « solutions » médicamenteuses, tantôt vers des traitements physiques voire psychologiques. Minerva a déjà analysé certaines de ces options de traitement, tels que la dénervation par radiofréquence (4,5), les anti-inflammatoires non stéroïdiens (6,7), le paracétamol (8,9) et divers traitements physiques (10-19).

 

La gabapentine et la prégabaline ont démontré une certaine efficacité dans les douleurs neuropathiques. Ces molécules sont aussi, sans justification rationnelle, prescrites dans l’indication lombalgie chronique. Shanthanna et al. (20) ont réalisé une synthèse méthodique avec méta-analyse pour étudier leur intérêt et leur sécurité dans le cadre de la lombalgie chronique. Ils ont consulté les bases de données Medline, Embase et Cochrane (CENTRAL) et ont sélectionné des RCTs qui ont testé la prégabaline et la gabapentine chez des patients adultes souffrant de lombalgies de plus de 3 mois avec ou sans irradiation dans les membres inférieurs. Les critères de jugement primaires, guidés par les critères IMMPACT (21), étaient le soulagement de la douleur et la sécurité du médicament. Au moins 3 études étaient nécessaires pour combiner leurs résultats dans une méta-analyse. Les résultats ont été mesurés par différence moyenne ou risque relatif, avec intervalles de confiance à 95%. Analyse de l’hétérogénéité par test I2.

Sélection finale de 8 essais cliniques randomisés dont 6 ont été utilisés pour une méta-analyse quantitative et 2  pour une méta-analyse qualitative.

 

Les résultats montrent que pour le soulagement de la douleur :

  • gabapentine versus placebo : différence non significative
  • prégabaline versus autres médicaments antalgiques (amitriptyline, célécoxib ou association tramadol-paracétamol) : différence non significative
  • prégabaline en tant que traitement adjuvant : résultats non poolés car trop d’hétérogénéité entres les études ; les études les plus importantes ne montrent pas de bénéfice d’ajouter la prégabaline au tapentadol (opioïde).

 

Comparés au placebo, les effets indésirables suivants ont été plus fréquemment rapportés avec la gabapentine : vertige (RR de 1,99 avec IC à 95% de 1,17 à 3,37) ; fatigue (RR de 1,85 avec IC à 95% de 1,12 à 3,05) ; difficultés de concentration (RR de 3,34 avec IC à 95% de 1,54 à 7,25) et perturbations visuelles (RR de 5,72 avec IC à 95% de 1,94 à 16,91). Aucun décès ni hospitalisation n’a été rapporté.

Les critères de jugement secondaires (fonctionnement physique, fonctionnement émotionnel et l’impression globale de changement) n’ont pas fait l’objet de méta-analyse. Les auteurs concluent, de leur synthèse qualitative, en l’absence d’efficacité clinique significative sur ces critères.

L’évaluation de la qualité des études sélectionnées s’est concentrée sur le risque de biais avec une méthode standardisée. Souvent un haut risque de biais a été identifié : 6 des 8 études présentaient un risque de biais de sélection, 6 pour la dissimulation d’allocation, 3 pour la génération de séquences, et 4 un risque de biais de détection. Seules 2 études ont été notées comme ayant un faible risque de biais pour la plupart des domaines. Tout ceci montre la faible qualité de ces travaux. Les niveaux de qualité de preuve sont évalués selon le système GRADE : 5/7 sont cotés très bas.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse basée sur des études de (très) faible qualité méthodologique montre une balance bénéfice risque clairement défavorable pour la gabapentine et la prégabaline dans l’indication lombalgie chronique aspécifique, avec des preuves d’efficacité clinique très limitées voire nulles, des effets indésirables fréquents et un coût non négligeable.

 

Pour la pratique

La lombalgie chronique, dont l’étiologie est toujours multiple et souvent liée à des facteurs psycho-sociaux plutôt qu’à une affection organique spécifique (22), nécessite un suivi rapproché, coordonné et pluridisciplinaire. Les traitements médicamenteux ont une place limitée dans ce suivi, et leur balance bénéfice-risque doit à chaque fois être évaluée avec précaution et communiquée au patient. On observe actuellement une augmentation de la consommation des médicaments opioïdes pour les douleurs chroniques (23), ce sujet a notamment été mis à l’ordre du jour d’une réunion de consensus de l’INAMI (24).

La gabapentine et la prégabaline, vu leur risque de consommation récréative (25), de dépendance et de toxicomanie (26), ne doivent pas être prescrites hors de leurs indications reconnues, à savoir certaines douleurs neuropathiques (27), pathologies convulsives ou trouble anxieux généralisé. Le guide de pratique clinique NICE recommande explicitement de ne pas prescrire d’antiépileptique dans les douleurs lombaires chroniques (28). Cette synthèse méthodique de bonne qualité méthodologique mais basée sur des études de (très) faible qualité méthodologique confirme ce message.

 

 

Références 

  1. Bouton C, Bègue C, Petit A, et al. Prendre en charge un patient ayant une lombalgie commune en médecine générale. Exercer 2018;139:28-37.
  2. Institut scientifique de santé publique. Enquête de santé 2013 rapport 1: santé et bien-être.
  3. Van Wambeke P, Desomer A, Ailliet L, et al. Guide de pratique clinique pour les douleurs lombaires et radiculaires. Résumé. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2017. KCE Reports 287Bs. D/2017/10.273/34.
  4. La rédaction Minerva.La dénervation par radiofréquence comme traitement des lombalgies chroniques. MinervaF 2018;17(4):52-5.
  5. Juch JN, Maas ET, Ostelo RW, et al. Effect of radiofrequency denervation on pain intensity among patients with chronic low back pain: the Mint randomized clinical trials. JAMA 2017;318:68-81. DOI: 10.1001/jama.2017.7918
  6. Coppe M. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens dans le traitement médicamenteux des lombalgies chroniques ? Minerva bref 15/02/2017.
  7. Enthoven WT, Roelofs PD, Deyo RA, et al. Non-steroidal anti-inflammatory drugs for chronic low back pain. Cochrane Database Syst Rev 2016, Issue 2. DOI: 10.1002/14651858.CD012087
  8. Chevalier P. Remettre en cause le paracétamol comme premier choix antalgique ? MinervaF 2016;15(9):235-9.
  9. Machado GC, Maher CG, Ferreira PH, et al. Efficacy and safety of paracetamol for spinal pain and osteoarthritis: systematic review and meta-analysis of randomised placebo controlled trials. BMJ 2015;350:h1225. DOI: 10.1136/bmj.h1225
  10. Thibaut K.Lombalgies non spécifiques : exercices Pilates ou exercices sur cyclo-ergomètre ? Minerva bref 15/02/2015.
  11. Marshal PW, Kennedy S, Brooks C, Lonsdale C. Pilates exercise or stationary cycling for chronic nonspecific low back pain: does it matter? a randomized controlled trial with 6-month follow-up. Spine (Phila Pa 1976) 2013;38:E952-9. DOI: 10.1097/BRS.0b013e318297c1e5
  12. Devroey D. La thérapie manuelle en cas de lombalgies chroniques ? MinervaF 2014:13(4):45-6.
  13. Licciardone JC, Minotti DE, Gatchel RJ, et al. Osteopathic manual treatment and ultrasound therapy for chronic low back pain: a randomized controlled trial. Ann Fam Med 2013;11:122-9. DOI: 10.1370/afm.1468
  14. Chevalier P. Yoga ou stretching pour les lombalgies chroniques ? Minerva bref 28/04/2012.
  15. Sherman KJ, Cherkin DC, Wellman RD, et al. A randomized trial comparing yoga, stretching, and a self-care book for chronic low back pain. Arch Intern Med 2011;271:2019-26. DOI: 10.1001/archinternmed.2011.524
  16. Duyver C. Exercices supervisés, à domicile ou manipulations (chiropraxie) pour les lombalgies chroniques. MinervaF 2012;11(3):32-3.
  17. Bronfort G, Maiers MJ, Evans RL, et al. Supervised exercise, spinal manipulation, and home exercise for chronic low back pain: a randomized clinical trial. Spine J 2011;11:585-98. DOI: 10.1016/j.spinee.2011.01.036
  18. Chevalier P. Efficacité des corsets en cas de lombalgies récidivantes. MinervaF 2008;7(8):127.
  19. Roelofs PD, Bierma-Zeinstra SM, van Poppel MN, et al. Lumbar supports to prevent recurrent low back pain among home care workers. Ann Intern Med 2007;147:685-92. DOI: 10.7326/0003-4819-147-10-200711200-00004
  20. Shanthanna H, Gilron I, Rajarathinam M, et al. Benefits and safety of gabapentinoids in chronic low back pain: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. PLoS Med 2017;14:e1002369. DOI: 10.1371/journal.pmed.1002369
  21. Dworkin R, Turk D, Farrar J et al.Core outcome measures for chronic pain clinical trials: IMMPACT recommendations. Pain 2005;113:9-19. DOI: 10.1016/j.pain.2004.09.012
  22. Chou R, Shekelle P. Will this patient develop persistent disabling low back pain? JAMA 2010;303:1295-1302. DOI: 10.1001/jama.2010.344
  23. Mutualité chrétienne. Hausse inquiétante de l’utilisation prolongée de puissants analgésiques. Communiqué de presse 18 oct 2018
  24. INAMI. L'usage rationnel des opioïdes en cas de douleur chronique. Réunion de consensus du 6/12/2018. Rapport du jury. Résumé de l’analyse de la littérature.
  25. Millar J, Sadasivan S, Weatherup N, Lutton S. Lyrica nights-recreational pregabalin abuse in an urban emergency department. EmergMed J 2013;30:874. DOI: 10.1136/emermed-2013-203113.20
  26. Gabapentine.Effets indésirables. Répertoire Commenté des Médicaments. CBIP 2019.
  27. Henrard G., Cordyn S., Chaspierre A. et al.GPC Prise en charge de la douleur chronique en première ligne de soins. Groupe de Travail Développement Recommandations de Bonne Pratique pour la Première Ligne. Mise à jour 2017.
  28. National Institute for Health and Care Excellence. Low back pain and sciatica in over 16s: assessment and management. NICE guideline [NG59]. Published date: November 2016.

Auteurs

Feron J-M.
Centre Académique de Médecine Générale, UCL
COI :

Glossaire

critères IMMPACT

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