Analyse


Que penser de l’alimentation en pleine conscience (mindful eating) comme traitement de l’alimentation émotionnelle en cas de surcharge pondérale ou d’obésité ?


17 05 2023

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Morillo-Sarto H, López-Del-Hoyo Y, Pérez-Aranda A, et al. 'Mindful eating' for reducing emotional eating in patients with overweight or obesity in primary care settings: a randomized controlled trial. Eur Eat Disord Rev 2023;31:303-19. DOI: 10.1002/erv.2958


Question clinique
Par rapport au traitement standard actuel, l’alimentation en pleine conscience est-elle un traitement efficace pour réduire le comportement alimentaire émotionnel chez les adultes en surcharge pondérale ou obèses ?


Conclusion
Cette étude en grappes, randomisée, en simple aveugle, multicentrique, qui présente d’importantes limites sur le plan méthodologique, montre qu’une alimentation en pleine conscience associée à un traitement standard réduit les comportements alimentaires émotionnels et externes. On ignore cependant quelle est la pertinence clinique de l’effet car la taille d’effet, à la fois après le traitement et après une année de suivi, était faible à modérée. Il n’y a pas eu de perte de poids, mais l’étude n’était pas conçue pour démontrer ce point.


Contexte

Une enquête de santé menée en Belgique a montré qu’environ 50% de la population présentaient une surcharge pondérale et 15% de l’obésité (1). Plusieurs études ont montré une association entre l’alimentation émotionnelle et la prise de poids, les crises de boulimie et l’obésité (2-6). En cas d’alimentation émotionnelle, la consommation de nourriture (en quantité excessive) est une réponse à des émotions négatives auxquelles la personne cherche à s’adapter et non une réponse physiologique à la sensation de faim (7). Le traitement des habitudes alimentaires telles que l’alimentation émotionnelle est donc un élément important de la lutte contre la surcharge pondérale et l’obésité. Une précédente revue systématique avec méta-analyse a conclu que les interventions de thérapie cognitivo-comportementale (TCC) étaient efficaces pour traiter les habitudes alimentaires en cas de surcharge pondérale et d’obésité (8). Une revue systématique avec méta-analyse plus récente a également conclu que les nouveaux traitements de TCC, basés sur la pleine conscience et l’acceptation, étaient efficaces pour modifier le comportement alimentaire et améliorer la santé mentale et les aspects psychologiques en cas de surcharge pondérale ou d’obésité (9). L’alimentation en pleine conscience est un exemple d’un tel programme basé sur la pleine conscience. L’alimentation en pleine conscience encourage la personne à prendre conscience des expériences sensorielles associées à l’alimentation sans les juger. Le but ultime est de sensibiliser davantage aux choix alimentaires et de mieux reconnaître les sensations de faim et de satiété. 

 

 

Résumé

 

Population étudiée 

  • des médecins généralistes de 4 centres de soins primaires en Espagne ont recruté des patients âgés de 45 à 75 ans ayant un BMI > 25 kg/m² qui maîtrisaient l’espagnol
  • critères d’inclusion : présence d’au moins 2 des 3 facteurs de risque suivants : mode de vie sédentaire, mauvaise qualité de l’alimentation, au moins 2 crises de boulimie par semaine
  • critères d’exclusion : maladie affectant le système nerveux central (telle que la démence) ; affection psychiatrique grave (telle que la schizophrénie, la dépression aiguë, la toxicomanie), à l’exclusion des troubles anxieux et de la personnalité ; présence de délires ou d’hallucinations ; risque suicidaire ; déjà sous traitement (médical ou psychologique) axé sur une modification du rapport à la nutrition ou sur la perte de poids
  • finalement, inclusion de 76 participants ayant en moyenne 58,5 ans (ET : 7,5 ans) ; 63,2% étant de sexe féminin ; 76,3% étant mariés ; 51,3% ayant achevé l’école primaire, et 35,5% l’école secondaire ; 35,5% ayant un emploi, 19,7% étant femmes au foyer ou hommes au foyer, et 25,0% étant pensionnés.

 

Protocole de l’étude 

Étude en grappe, randomisée, multicentrique, menée en simple aveugle, contrôlée, avec deux groupes en parallèle (10) :

  • groupe intervention (n = 41) : traitement standard + séance de groupe pour une alimentation en pleine conscience ; pendant 7 semaines, un psychologue a donné des séances hebdomadaires (de 2 heures) en groupes de 8 à 12 personnes qui alliaient théorie et exercices sur la pleine conscience (exercices de respiration et de méditation ainsi que des exercices de sensibilisation liés à l’alimentation comme l’exercice du raisin sec *) avec des devoirs à faire chez soi (exercices de respiration et de méditation comme le balayage corporel (body scan)**, s’entraîner à ralentir le rythme alimentaire, apprendre à reconnaître les signaux de faim et de satiété et s’entraîner consciemment avec eux) avec pour objectifs principaux : être sensibilisé aux processus automatiques, avoir conscience du niveau de faim, acquérir des connaissances sur la nutrition et la relation entre les habitudes alimentaires et les émotions, pouvoir distinguer la faim physiologique de la faim due à des stimuli externes, trouver un équilibre permettant de manger avec plaisir en ayant conscience, reconnaître les signaux physiques de satiété, avoir de la compassion envers soi dans le cadre de l’hyperphagie boulimique (la perte de poids n’est pas un but direct)
  • groupe témoin (n = 35) : uniquement le traitement standard, consistant en des entretiens une fois par semaine pendant 7 semaines entre le patient d’une part et le médecin généraliste et l’infirmière d’autre part sur la santé et la nutrition, au cours desquels un plan nutritionnel était également établi
  • suivi après l’intervention (8 semaines après le début de l’étude) et après 1 an.

 

* L’exercice du raisin sec est un exercice dans lequel la prise de conscience des expériences sensorielles est renforcée en parcourant chacun des sens. Par exemple, on vous demande de sentir l’odeur du raisin sec et de la décrire, de toucher le raisin sec les yeux fermés et de décrire la sensation. Il est également régulièrement demandé si la faim ou le besoin impérieux de raisins secs se fait sentir, et où est le ressenti dans le corps. 

 

** Le balayage corporel (body scan) est un exercice de méditation couramment utilisé, au cours duquel l’attention est portée sur des parties du corps par le biais d’un accompagnement audio. Des parties du corps sont passées en revue, des pieds à la tête, avec la demande d’y porter consciemment attention et de remarquer toutes les sensations, telles que la douleur et la tension, sans les juger ni vouloir les modifier. Cela favorise une reprise de conscience des expériences sensorielles et corporelles sans jugement. Le balayage corporel et d’autres exercices de méditation se trouvent par exemple sur https://www.actinactie.nl/audio-materiaal/ ou dans l’application Mindfulness de VGZ.

 

Mesure des résultats

 

Résultats 

  • proportion de sorties d’étude : 0% dans le groupe témoin, 9,8% dans le groupe intervention
  • principal critère de jugement : 
    • diminution du comportement alimentaire émotionnel dans le groupe intervention par rapport au groupe témoin après l’intervention (p = 0,006, d = 0,35, soit un faible effet) et après une année de suivi (p < 0,001, d = 0,69, soit un effet modéré) ; résultats similaires après correction pour tenir compte du sexe, de l’anxiété et de la dépression
    • après le traitement, le NNT est respectivement de 3 (IC à 95% de 1,8 à 5,3) pour la diminution à un quartile moins sévère et de 7 (IC à 95% de 3,8 à 35,7) pour le RCI = 0,72. Après une année de suivi, le NNT est de 3 (IC à 95% de 1,6 à 4,2) pour la diminution à un quartile moins sévère
  • critères de jugement secondaires :
    • diminution du comportement alimentaire externe dans le groupe intervention par rapport au groupe témoin après l’intervention (p = 0,035, d = 0,31, soit un faible effet) et après une année de suivi (p < 0,001, d = 0,85, soit un effet important), mais pas de diminution du comportement alimentaire axé sur la ligne
    • diminution de la sévérité de la boulimie (p = 0,004, d = 0,65, soit un effet modéré) et de la fréquence des crises de boulimie (p = 0,001, d = 0,53) mais pas de diminution des symptômes de boulimie dans le groupe intervention par rapport au groupe témoin après une année de suivi
    • aucune différence entre les deux groupes d’étude quant au risque de troubles de l’alimentation, d’anxiété et de symptômes dépressifs, tant après l’intervention qu’après une année de suivi
    • après 1 an de suivi, aucune différence n’a été observée entre les deux groupes d’étude en termes de poids, de BMI et d’autres paramètres physiologiques (à l’exception d’une diminution plus importante du cholestérol et du HDL-cholestérol dans le groupe témoin).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les résultats de cette étude étayent l’efficacité de l’alimentation en pleine conscience associée à un traitement standard pour réduire les comportements alimentaires émotionnels et externes en plus d’un effet sur certaines autres mesures de résultats secondaires. Aucun changement significatif dans la perte de poids n’a été observé. 

 

Financement de l’étude 

Financement en libre accès par l’université autonome de Barcelone.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts. 

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Lors de la randomisation, les 4 grappes (c’est-à-dire les centres de soins primaires) ont été stratifiées en fonction du revenu moyen des patients. En effet, un équilibre du revenu moyen entre les deux groupes de recherche est important car il y a une association entre le statut socioéconomique et le surpoids et l’obésité (11). En raison du petit nombre de centres, la randomisation sera plutôt limitée après cette stratification. Cela peut expliquer pourquoi, au début de l’étude, le score du comportement alimentaire émotionnel était plus élevé dans le groupe intervention que dans le groupe témoin. Cette différence peut avoir influencé les résultats en faveur du groupe intervention. La randomisation a été effectuée par un chercheur indépendant, et ni les médecins généralistes ni les évaluateurs des résultats n’étaient au courant de l’attribution. La mise en aveugle des participants n’est pas possible pour ce type d’intervention. Le fait que les participants savaient s’ils recevaient ou non le traitement peut avoir causé de la frustration ou du mécontentement dans le groupe témoin, ce qui peut avoir entraîné un risque de biais de performance. Un biais de détection est également possible car des questionnaires d’auto-évaluation ont été utilisés. L’utilisation de questionnaires d’auto-évaluation par des participants qui ne sont pas en aveugle peut en effet susciter des réponses socialement souhaitables et ainsi réduire la fiabilité des résultats. Des questionnaires validés ont été utilisés. 
Après les sorties d’études, qui étaient peu nombreuses, la taille de l’échantillon est restée suffisamment importante pour démontrer une forte différence (d de Cohen = 0,80) dans le principal critère de jugement entre le groupe intervention et le groupe témoin. Un effet de grappe a également été pris en compte dans le calcul de la puissance. Les chercheurs ont effectué des analyses de sensibilité pour examiner l’influence du sexe et des symptômes d’anxiété et de dépression, mais ces analyses ont donné des résultats similaires. 

 

Évaluation des résultats

Dans cette étude, l’alimentation émotionnelle a été choisie comme critère de jugement principal. Cela semble un choix logique car l’alimentation en pleine conscience en tant qu’intervention aura initialement un effet sur la prise de conscience des habitudes alimentaires et des expériences sensorielles pendant le repas, y compris la reconnaissance de la faim et de la satiété. Avec l’alimentation en pleine conscience, l’objectif principal n’est pas la modification du poids. Comme indiqué précédemment, certaines habitudes alimentaires, y compris l’alimentation émotionnelle, sont un facteur de risque de prise de poids, de crises de boulimie et d’obésité. Pour les recherches futures, il pourrait tout de même être intéressant de proposer une modification du poids (à plus long terme) comme critère de jugement principal. 
La différence cliniquement pertinente proposée de d = 0,80 pour le critère de jugement principal entre le groupe intervention et le groupe témoin n’a pas été atteinte. Malgré une différence statistiquement significative, la différence retrouvée peut donc être cliniquement moins pertinente, tant après le traitement qu’après une année de suivi. La taille de l’effet a augmenté au cours du suivi. Les scores aux mesures de résultats étaient relativement faibles au début de l’étude. Cela peut signifier que l’effet de l’intervention n’était pas visible (effet plancher). Par ailleurs, il convient de noter que le score d’alimentation émotionnelle à l’inclusion était plus élevé dans le groupe intervention. Une diminution du score plus importante était donc possible puisqu’il était plus élevé au départ. Comme mentionné ci-dessus, cela peut avoir faussé le résultat en faveur de l’intervention. Fait intéressant, les chercheurs ont également calculé un NNT pour la réponse au critère de jugement principal. À cet effet, ils ont utilisé deux critères. Trois personnes doivent recevoir l’intervention pour qu’une personne atteigne un quartile inférieur dans l’alimentation émotionnelle après l’intervention et après une année de suivi. Il faut traiter sept personnes pour que, chez une personne, on observe un effet fiable après traitement. Le NNT pour un effet fiable après une année de suivi n’a pas pu être calculé parce que l’on n’a trouvé aucune différence statistiquement significative en termes de différence absolue.
L’exclusion des personnes atteintes de troubles psychiatriques graves et à risque suicidaire signifie qu’un éventuel groupe à haut risque a été omis, ce qui rend difficile l’extrapolation à un vaste groupe de patients. Des recherches supplémentaires sur l’efficacité de l’alimentation en pleine conscience par rapport à d’autres traitements et pour une comparaison entre les séances individuelles et collectives d’alimentation en pleine conscience sont également nécessaires afin de déterminer la place de l’alimentation en pleine conscience dans une approche multidisciplinaire de la surcharge pondérale et de l’obésité.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Ebpracticenet  (12,13) recommande de vérifier, lors de l’anamnèse (diagnostic) de la surcharge pondérale ou de l’obésité, l’existence d’une alimentation émotionnelle ou externe. Pour le traitement de l’obésité, Ebpracticenet souligne l’importance d’un traitement étape par étape ciblé individuellement, en utilisant une combinaison de conseils sur l’alimentation, le comportement et l’exercice. Les guides de pratique clinique de l’association néerlandaise des médecins de famille (NHG) recommandent une combinaison de régime alimentaire et de TCC (niveau 1), mais ne mentionnent pas spécifiquement l’alimentation en pleine conscience. 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude en grappes, randomisée, en simple aveugle, multicentrique, qui présente d’importantes limites sur le plan méthodologique, montre qu’une alimentation en pleine conscience associée à un traitement standard réduit les comportements alimentaires émotionnels et externes. On ignore cependant quelle est la pertinence clinique de l’effet car la taille d’effet, à la fois après le traitement et après une année de suivi, était faible à modérée. Il n’y a pas eu de perte de poids, mais l’étude n’était pas conçue pour démontrer ce point. 

 

 

 

Références 

  1. Drieskens S, Charafeddine R, Gisle L. Enquête de sante 2018: Etat nutritionnel. Sciensano. URL: https://www.sciensano.be/nl/biblio/enquete-de-sante-2018-etat-nutritionnel
  2. Stojek MM, Tanofsky-Kraff M, Shomaker LB, et al. Associations of adolescent emotional and loss of control eating with 1-year changes in disordered eating, weight, and adiposity. Int J Eat Disord 2017;50:551-60. DOI: 10.1002/eat.22636
  3. van Strien T. Causes of emotional eating and matched treatment of obesity. Curr Diab Rep 2018;18:35. DOI: 10.1007/s11892-018-1000-x
  4. Dohle S, Hartmann C, Keller C. Physical activity as a moderator of the association between emotional eating and BMI: evidence from the Swiss Food Panel. Psychol Health 2014;29:1062-80. DOI: 10.1080/08870446.2014.909042
  5. van Strien T, Peter Herman C, Verheijden MW. Eating style, overeating and weight gain. A prospective 2-year follow-up study in a representative Dutch sample. Appetite 2012;59:782-9. DOI: 10.1016/j.appet.2012.08.009
  6. Koenders PG, van Strien T. Emotional eating, rather than lifestyle behavior, drives weight gain in a prospective study in 1562 employees. J Occup Environ Med 2011;53:1287-93. DOI: 10.1097/JOM.0b013e31823078a2
  7. Karlsson J, Persson LO, Sjöström L, Sullivan M. Psychometric properties and factor structure of the Three-Factor Eating Questionnaire (TFEQ) in obese men and women. Results from the Swedish Obese Subjects (SOS) study. Int J Obes 2000;24:1715-25. DOI: 10.1038/sj.ijo.0801442
  8. Jacob A, Moullec G, Lavoie KL, et al. Impact of cognitive-behavioral interventions on weight loss and psychological outcomes: a meta-analysis. Health Psychol 2018;37:417-32. DOI: 10.1037/hea0000576
  9. Lawlor ER, Islam N, Bates S, et al. Third‐wave cognitive behaviour therapies for weight management: a systematic review and network meta‐analysis. Obesity Reviews 2020;21;e13013. DOI: 10.1111/obr.13013
  10. Morillo-Sarto H, López-Del-Hoyo Y, Pérez-Aranda A, et al. 'Mindful eating' for reducing emotional eating in patients with overweight or obesity in primary care settings: a randomized controlled trial. Eur Eat Disord Rev 2023;31:303-19. DOI: 10.1002/erv.2958
  11. Newton S, Braithwaite D, Akinyemiju TF. Socio-economic status over the life course and obesity: systematic review and meta-analysis. PLoS One 2017;12:e0177151. DOI: 10.1371/journal.pone.0177151
  12. Verbeyst L, Vanhauwaert E, Wuyts M, et al. Conseils en matière de nutrition et de mode de vie pour les adultes en surpoids ou obèses. Ebpracticenet. UCLL, Moving Minds, mis à jour par le producteur: 1/05/2021.
  13. Van Royen P, Bastiaens H, D’hondt A, et al. Surcharge pondérale et obésité chez l'adulte. Ebpracticenet. SSMG, mis à jour par le producteur: 17/04/2013. 

 

 

 




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