Analyse


Après une thrombose veineuse profonde, le port de bas de contention de manière régulière est-il nécessaire pour prévenir le syndrome post-thrombotique ?


22 12 2023

Professions de santé

Audiologiste, Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste
Analyse de
Meng J, Liu W, Wu Y, et al. Is it necessary to wear compression stockings and how long should they be worn for preventing post thrombotic syndrome? A meta-analysis of randomized controlled trials. Thromb Res 2023;225:79-86. DOI: 10.1016/j.thromres.2023.03.016


Question clinique
Quel est l’effet du port de bas de contention pendant un temps déterminé, par rapport au fait de ne pas porter de bas de contention ou de porter des bas placebo, pour prévenir le syndrome post-thrombotique (SPT) après une thrombose veineuse profonde (TVP) du membre inférieur ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, qui a été correctement menée sur le plan méthodologique, suggère que le port de bas de contention pendant 2 ans après une TVP réduit le risque de syndrome post-thrombotique. Cela repose sur des études cliniquement très hétérogènes et dont les résultats n’étaient pas cohérents. D’après les données disponibles, les preuves d’un effet préventif peuvent donc être considérées comme plutôt faibles. Une étude plus poussée, contrôlée par placebo, est donc certainement nécessaire pour déterminer le bénéfice réel du port de bas de contention en prévention d’un syndrome post-thrombotique et pour savoir chez quels patients, à partir de quel moment et pendant combien de temps après le diagnostic de TVP l’effet le plus important peut être attendu.


Contexte

Après une thrombose veineuse profonde (TVP) dans un membre inférieur, 20 à 50% des patients développent un syndrome post-thrombotique (SPT) dans un délai d’un à deux ans (1). Le SPT est un diagnostic clinique dans lequel les patients se plaignent de douleurs, de crampes, de lourdeur, de picotements et de démangeaisons au niveau du membre inférieur. L’examen clinique peut révéler un œdème prétibial, une induration cutanée, une hyperpigmentation, des rougeurs, des ectasies veineuses et même un ulcère veineux (2). Le score de Villalta est le test optimal pour poser le diagnostic de SPT et en déterminer la gravité (3). À ce jour, il n’existe aucun traitement dont l’efficacité ait été prouvée pour le traitement du SPT (4). D’où l’importance de la prévention, pour laquelle, en plus d’une anticoagulation adéquate ou d’une éventuelle thrombectomie, l’utilisation systématique de bas de contention peut être envisagée (5). Déjà en 2005, Minerva a traité d’une étude contrôlée randomisée montrant que le risque de SPT pouvait être réduit de moitié environ lorsque les patients portaient des bas de contention pendant deux ans après une thrombose veineuse profonde (6,7). Entre-temps, de nombreuses nouvelles études ont été menées, et la question reste de savoir combien de temps il faut porter des bas de contention après une TVP pour obtenir un effet préventif (8). 

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

 

Sources consultées

  • PubMed, Cochrane Library, Embase et Web of Science, jusqu’au 23 novembre 2022
  • listes de références des revues. 

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : RCTs comparant des patients portant des bas de contention à des patients ne portant pas de bas de contention ou portant des bas placebo et/ou RCT comparant des patients portant des bas de contention élastiques pendant des périodes variables ; SPT diagnostiqué selon le score de Villalta, l’échelle de Ginsberg, l’échelle de Brandjes, la classification CEAP (clinique, étiologique, anatomique, physiopathologique), le score veineux de sévérité clinique (Venous Clinical Severity Score, VCSS) ou l’échelle de Widmer ; rapport de l’incidence du SPT
  • critères d’exclusion : études chez des patients sans TVP ; études utilisant des bas de contention pour la prévention d’une TVP distale ; études chez des patients portant des bas de contention après le diagnostic de SPT
  • finalement, inclusion de 9 RCTs dont 7 études comparant des patients (n = 1694) qui portaient des bas de contention et des patients qui n’en portaient pas ou portaient des bas placebo et 2 études (n = 1383) comparant le port de bas de contention pendant des périodes variables (699 patients pendant 2 ans et 684 pendant 6 mois à 1 an) ; toutes les études utilisaient des bas de contention jusqu’au genou ; le port des bas de contention débutait entre le 1er jour et 1 an après la TVP. 

 

Population étudiée

  • patients recrutés aux Pays-Bas (N = 3), au Canada (N = 2), en Italie (N = 1), aux États-Unis (N = 1), en Suisse (N = 1) et en Chine (N = 1) ; âge moyen variant de 47 (ET 16) à 64,1 (de 52,9 à 72,5) ans ; la plupart des études ont inclus un plus grand nombre d’hommes que de femmes.

 

Mesure des résultats

  • différence entre les patients qui portent des bas de contention et ceux qui n’en portent pas ou portent des bas placebo quant au nombre de patients qui présentent un SPT, qui font une récidive de TVP et qui décèdent 
  • sommation en utilisant la méthode de Mantel-Haenszel et résultats exprimés en risque relatif (RR) avec intervalle de confiance (IC) à 95%
  • hétérogénéité statistique calculée en utilisant le test I²
  • modèle à effets fixes (si I² < 50%) et modèle à effets aléatoires (si I² > 50%).

 

Résultats

  • par rapport au fait de ne pas porter de bas de contention ou de porter des bas placebo, le port de bas de contention était associé à une diminution statistiquement significative de la survenue du SPT (RR de 0,73 avec IC à 95% de 0,53 à 1,00 ; p = 0,05 ; N = 7 études ; I² = 82%)
    • après avoir exclu 1 étude sans mise en aveugle adéquate des participants, du personnel de santé et des évaluateurs des effets, 1 étude avec des données incomplètes et 1 étude avec une incertitude quant à la randomisation et à la préservation du secret d’attribution, le gain est resté statistiquement significatif en faveur des bas de contention (RR de 0,66 avec IC à 95% de 0,44 à 0,99 ; p = 0,05 ; N = 4 études ; I² = 88%)
    • aucune différence statistiquement significative entre les deux groupes en ce qui concerne le SPT sévère (N = 4 études ; I² = 62%) et le SPT modérément sévère (N = 4 études ; I² = 71%)
    • aucune différence statistiquement significative dans la survenue du SPT, du SPT sévère et du SPT modéré entre le port de bas de contention pendant ≤ 1 an versus 2 ans (N = 2 études ; I² 76%, 6% et 83% respectivement)
  • aucune différence statistiquement significative dans la récidive de TVP (N = 4 études ; I² = 0%) et la mortalité (N = 6 études ; I² = 0%) entre le port de bas de contention et le fait de ne pas porter de bas de contention ou de porter des bas placebo.

 

Conclusion des auteurs

Le port de bas de contention peut réduire le risque de syndrome post-thrombotique après une TVP. Une durée de port ≤ 1 an est similaire à 2 ans. Les résultats soutiennent l’utilisation de bas de contention comme thérapie étayée pour prévenir le syndrome post-thrombotique.

 

Financement de l'étude

Cette étude a été soutenue par le Centre national de recherche clinique pour les troubles gériatriques de l'hôpital Xiangya (Central South University) et par la Fondation naturelle de la province de Hunan en Chine. 

 

Conflits d'intérêts des auteurs

Les auteurs déclarent n'avoir aucun intérêt financier ou personnel pouvant affecter leur travail dans le cadre de cette étude.

 

 

Discussion

 

Discussion de la méthodologie

Le rapport de cette synthèse méthodique avec méta-analyse en réseau a été correctement rapporté selon les directives PRISMA. Deux équipes de deux évaluateurs ont chacune effectué des recherches indépendantes dans plusieurs bases de données et sélectionné des études pertinentes sur la base de critères d’inclusion et d’exclusion prédéterminés. Ensuite, les deux équipes ont extrait les données des études et ont évalué le risque de biais à l’aide de l’outil de la Collaboration Cochrane « Risque de biais ». Dans la mesure du possible, les informations manquantes ont été demandées aux auteurs concernés. En cas de désaccord sur l’inclusion ou l’évaluation méthodologique des études, il était fait appel à un troisième chercheur. Pour trois études, il existait un risque élevé de biais pour au moins un domaine, tandis que pour cinq études, il existait une incertitude pour au moins un domaine. Seule une étude ne présentait aucune forme de biais. Le biais était principalement lié à l’absence d’insu des patients, des prestataires de soins et des évaluateurs de l’effet ou à un manque de clarté concernant la mise en aveugle. La mise en aveugle correcte des patients et des prestataires de soins n’a été possible que dans les deux études comparant les bas de contention aux bas placebo (9,10). 
Les différentes méta-analyses présentent une importante hétérogénéité statistique. Cette hétérogénéité peut être due aux différences dans le type de bas de contention, l’intervalle de temps entre le diagnostic de TVP et le moment de la mise en place des bas de contention (24 heures à 1 an), la définition du SPT et le biais méthodologique des différentes études. Les analyses de sensibilité réalisées (heure de début du port des bas de contention, définition du SPT et conception de l’étude) n’ont pas permis de réduire significativement l’hétérogénéité statistique. 

 

Discussion des résultats

Les auteurs de cette synthèse méthodique avec méta-analyse concluent que le port de bas de contention réduit le risque de SPT après TVP. Cependant, l’intervalle de confiance du risque relatif (RR 0,73) est très large, allant de 0,53 à 1,00. Si l’on ne tient compte que des quatre études plus fortes d’un point de vue méthodologique, le gain demeure (RR 0,66), et la limite supérieure de l’intervalle de confiance se situe juste en dessous de 1,00. Une de ces 4 études a déjà fait l’objet d’une discussion dans Minerva (6,7). Le port de bas de contention, par comparaison avec le fait de ne pas en porter, entraîne une réduction du SPT d’environ 50%, avec un intervalle de fiabilité très large (RR de 0,52 avec IC à 95% de 0,35 à 0,79). Une étude similaire d’environ la même taille (n = 200) peut confirmer ce résultat (RR de 0,44 avec un IC à 95% de 0,32 à 0,61) (11), alors qu’une autre étude similaire (n = 230) ne peut montrer un gain statistiquement significatif (RR de 0,75 avec IC à 95% de 0,56 à 1,01) (12). De plus, l’étude la plus vaste (n = 800) et la plus solide sur le plan méthodologique comparant les bas de contention à des bas placebo (au lieu de comparer avec le fait de ne pas porter de bas de contention) n’a pas pu montrer de différence statistiquement significative (RR de 1,01 avec IC à 95% de 0,86 à 1,18) (13). Les résultats de ces études sont donc très contradictoires, et, si l’on prend en compte le résultat de la dernière étude, il faudra peut-être souligner un éventuel effet placebo. Bien que le score de Villalta soit considéré comme la référence en matière de SPT, il faut tenir compte du fait qu’il contient également certains paramètres subjectifs, tels que la douleur, la lourdeur, les crampes, les démangeaisons, les picotements. Dans une RCT qui n’est pas menée en double aveugle, il peut en résulter une distorsion importante des résultats. Il est donc recommandé de combiner le score de Villalta avec d’autres instruments de mesure, dont une évaluation de la qualité de vie (3). Par exemple, dans l’étude en double aveugle de Kahn, ni une différence au score de Villalta ni une différence à l’échelle de Ginsberg n’ont pu montrer de différence dans la qualité de vie (mesurée avec le SF-36) (10). Cela indique la robustesse des résultats de cette étude. Il semble par conséquent que cette méta-analyse ne permette pas de répondre avec certitude à la question de savoir si et dans quelle mesure les bas de contention peuvent prévenir le SPT après une TVP. Cette méta-analyse ne peut pas non plus apporter de réponse à la question de savoir combien de temps il faut porter des bas de contention pour obtenir un effet préventif. Que les bas de contention soient portés pendant 2 ans ou pendant 1 an ou moins, le risque de SPT s’est avéré comparable, mais cela s’appuie sur seulement deux études, dont l’une présentait un risque de biais élevé. Il est également important de noter que cette étude n’a pas pris en compte la survenue d’effets indésirables ni la tolérance des bas de contention. Il s’agit généralement de bas de contention avec une pression comprise entre 20 et 40 mmHg (bas de classe II), ce qui peut provoquer une gêne lors de l’enfilage et du port des bas. L’étude de Kahn a néanmoins montré que l’observance était comparable pour le port de bas placebo (pression < 5 mmHg).
Enfin, les données de cette synthèse méthodique ne permettent pas de déterminer pour quelle sous-population présentant un TVP le port de bas de contention pourrait être cliniquement pertinent dans la prévention du SPT. En effet, elle ne prend pas en compte les facteurs de risque de développement d’un SPT, tant au moment du diagnostic de TVP (obésité, âge avancé, tabagisme, insuffisance veineuse préalable, thrombose étendue des veines proximales) que pendant le traitement et le suivi de la TVP (anticoagulation infrathérapeutique durant les premiers mois, symptômes et signes persistants après 1 mois, thrombose persistante à l’échographie après le traitement, récidive homolatérale) (5). 
 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Pour prévenir le syndrome post-thrombotique, les recommandations de la Société néerlandaise des médecins généralistes (NHG) (13) préconisent le port de bas de contention pendant 2 ans. Après un an, on peut vérifier si la jambe reste fine sans bas de contention. Le patient peut continuer à porter les bas de contention par la suite si cela diminue les symptômes. Dynamed ne recommande pas le port de bas de contention de manière régulière après une TVP (5). Compte tenu du faible risque d’effets indésirables, il est possible d’envisager des bas de contention pour tenter de réduire l’œdème symptomatique après une TVP proximale (5). 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, qui a été correctement menée sur le plan méthodologique, suggère que le port de bas de contention pendant 2 ans après une TVP réduit le risque de syndrome post-thrombotique. Cela repose sur des études cliniquement très hétérogènes et dont les résultats n’étaient pas cohérents. D’après les données disponibles, les preuves d’un effet préventif peuvent donc être considérées comme plutôt faibles. Une étude plus poussée, contrôlée par placebo, est donc certainement nécessaire pour déterminer le bénéfice réel du port de bas de contention en prévention d’un syndrome post-thrombotique et pour savoir chez quels patients, à partir de quel moment et pendant combien de temps après le diagnostic de TVP l’effet le plus important peut être attendu.  

 

 


Références 

  1. Kahn SR, Comerota AJ, Cushman M, et al. American Heart Association Council on Peripheral Vascular Disease, Council on Clinical Cardiology, and Council on Cardiovascular and Stroke Nursing. The postthrombotic syndrome: evidence-based prevention, diagnosis, and treatment strategies: a scientific statement from the American Heart Association. Circulation 2014;130:1636-61. Correction in Circulation 2015;131:e359. DOI: 10.1161/CIR.0000000000000130
  2. Rabinovich A, Kahn SR. The postthrombotic syndrome: current evidence and future challenges. J Thromb Haemost 2017;15:230-41. DOI: 10.1111/jth.13569
  3. Soosainathan A, Moore HM, Gohel MS, Davies AH. Scoring systems for the post-thrombotic syndrome. J Vasc Surg 2013;57:254-61. DOI: 10.1016/j.jvs.2012.09.011
  4. Dynamed. Post-thrombotic syndrome (PTS). Updated 10/08/2022. (Te raadplegen via CDLH)
  5. Dynamed. Prevention of post-thrombotic syndrome (PTS). Updated 10/08/2022. (Geraadpleegd via CDLH)
  6. Poelman T. Bas de contention de confection en prévention du syndrome postthrombotique. MinervaF 2005;4(7):110-2.
  7. Prandoni P, Lensing AWA, Prins MH, et al. Below-knee elastic compression stockings to prevent the postthrombotic syndrome. Ann Intern Med 2004;141:249-56. DOI: 10.7326/0003-4819-141-4-200408170-00004
  8. Meng J, Liu W, Wu Y, et al. Is it necessary to wear compression stockings and how long should they be worn for preventing post thrombotic syndrome? A meta-analysis of randomized controlled trials. Thromb Res 2023;225:79-86. DOI: 10.1016/j.thromres.2023.03.016
  9. Ginsberg JS, Hirsh J, Julian J, Vander LaandeVries M, et al. Prevention and treatment of postphlebitic syndrome: results of a 3-part study. Arch Intern Med 2001;161:2105-9. DOI: 10.1001/archinte.161.17.2105
  10. Kahn SR, Shapiro S, Wells PS, et al; SOX trial investigators. Compression stockings to prevent post-thrombotic syndrome: a randomised placebo-controlled trial. Lancet 2014;383:880-8. DOI: 10.1016/S0140-6736(13)61902-9
  11. Brandjes DP, Büller HR, Heijboer H, et al. Randomised trial of effect of compression stockings in patients with symptomatic proximal-vein thrombosis. Lancet 1997;349:759-62. DOI: 10.1016/S0140-6736(96)12215-7
  12. Yang X, Zhang X, Yin M, et al. Elastic compression stockings to prevent post-thrombotic syndrome in proximal deep venous thrombosis patients without thrombus removal. J Vasc Surg Venous Lymphat Disord 2022;10:293-9. DOI: 10.1016/j.jvsv.2021.06.023
  13. Diepveneuze trombose en longembolie 2021. NHG-Standaard (M86). Published: november 2023.

 




Ajoutez un commentaire

Commentaires