Revue d'Evidence-Based Medicine



Le ginseng diminue-t-il la fatigue liée au cancer ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 10 Page 119 - 120

Professions de santé


Analyse de
Barton DB, Liu HL, Dakhil SR, et al. Wisconsin Ginseng (Panax quinquefolius) to improve cancer-related fatigue: a randomised double-blind trial, N07C2. J Nat Cancer Inst 2013; 105: 1230-1238.


Question clinique
Quel est l’effet du ginseng sur la fatigue liée au cancer et quels sont ses effets indésirables, versus placebo ?


Conclusion
Cette étude contrôlée randomisée, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que versus placebo la prise quotidienne de 2.000 mg de ginseng américain à court terme (après 4 et 8 semaines) diminue la fatigue chez les patients cancéreux sous traitement anticancéreux actif. La pertinence clinique de cette différence entre les groupes est cependant difficile à évaluer et le suivi de l’étude est trop court.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Il a déjà été montré que divers types d’exercices physiques, notamment la marche, le vélo, la natation, les exercices contre résistance et les exercices combinés, effectués plusieurs fois par semaine, ont pour effet de diminuer la fatigue chez les patients cancéreux pendant et après le traitement anticancéreux. Il est impossible d’émettre des recommandations spécifiques concernant les exercices les plus indiqués (exercices de type aérobie et/ou exercices contre résistance) et sur la manière de les effectuer (fréquence, durée et/ou intensité) car les données précises à ce sujet manquent. Le dépistage et le traitement de facteurs étiologiques éventuels, l’accompagnement dans la planification des activités, l’éducation, les mesures à prendre pour améliorer la qualité du sommeil, la thérapie de relaxation, les massages sont recommandés, mais ne sont étayés que par des preuves limitées. Pour le traitement de l’anémie avec une Hb < 10 g/dl, l’avantage de l’érythropoïétine doit être considéré au regard des effets indésirables potentiels (augmentation de la thrombo-embolie et hypertension, stimulation de la croissance tumorale). En ce qui concerne le méthylphénidate, plusieurs petites études différentes ont montré un effet limité. Pour l’utilisation des autres médicaments, il n’existe pas suffisamment de preuves. La présente étude contrôlée randomisée montre un effet clinique limité du ginseng américain sur la fatigue liée au cancer. Aucun médicament à base de racine de Panax quinquefolius L n’est enregistré en Belgique. Il convient de bien distinguer cette espèce de ginseng du véritable ginseng, le Panax ginseng C.A. Meyer, qui provient d’Extrême-Orient. Actuellement, dans les études cliniques, aucune distinction explicite n’est constatée dans le mode d’action de ces deux espèces de ginseng.


Le ginseng diminue-t-il la fatigue liée au cancer ?

 

Contexte

La fatigue liée au cancer est définie comme un sentiment subjectif de fatigue intense et persistante que ni le sommeil ni le repos ne font disparaître et qui peut avoir un effet négatif sur l’état émotionnel, physique et mental (1). À ce jour, peu de médicaments ont démontré un effet positif sur cette forme de fatigue (2). Une synthèse méthodique publiée en 2010 par la Cochrane Collaboration et discutée dans Minerva concluait que l’effet significatif du méthylphénidate, versus placebo, est relativement limité sur le plan clinique et que l’érythropoïétine ne peut plus être recommandée aux patients cancéreux qui présentent une anémie en raison des effets indésirables possibles (3). Par ailleurs, deux études pilotes ont montré un effet positif du ginseng sur la fatigue de patients cancéreux pendant ou après le traitement (4,5).

 

Résumé

Population étudiée

  • 364 patients âgés en moyenne de 43 à 67 ans dont ≥ 75% de femmes, recrutés dans 40 centres de lutte contre le cancer, qui avaient suivi ou suivaient un traitement curatif (49% encore en traitement) pour un cancer, dont le diagnostic avait été posé au cours des 2 années précédant le début de l’étude, associé à une fatigue liée au cancer, pour laquelle le score sur une échelle à 11 points d’évaluation de la fatigue était d’au moins 4 (0 = pas de fatigue ; 10 = impossible d’être plus fatigué) depuis au moins 1 mois
  • critères d’exclusion : lymphome cérébral ou du système nerveux central, autres causes de fatigue, douleur ou insomnie d’une intensité de 4 ou plus sur une échelle à 11 points, utilisation de corticoïdes par voie systémique, d’opioïdes, de préparations de ginseng ou d’autres médicaments contre la fatigue, modification du traitement prévue dans les 8 semaines.

Protocole d’étude

  • étude randomisée multicentrique, en double aveugle, contrôlée par placebo, avec deux groupes :
    • un groupe intervention (n = 183) a reçu 2 fois par jour (le matin avec le petit déjeuner et à midi avec le repas) 1 000 mg de poudre de racine de ginseng américain (Panax quinquefolius L.), comprenant 3% de ginsénosides
    • un groupe témoin (n = 181) a reçu 2 fois par jour un placebo
  • suivi durant 8 semaines.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : différence par rapport au score de départ entre les 2 groupes aux semaines 4 et 8 pour le MFSI-SG (Multidimensional Fatigue Symptom Inventory-Short Form) traduit sur une échelle à 100 points (plus le score est élevé, moins la fatigue est importante)
  • critères de jugement secondaires : différence par rapport aux scores de départ entre les 2 groupes aux semaines 4 et 8 pour les différentes sous-échelles du MFSI-SF ainsi que pour le POMS (Profile of Mood States) et pour le BFI (Brief Fatigue Inventory)
  • les effets indésirables et leur gravité ont été notés, tant par les patients que par les médecins, sur une échelle de 0 à 10
  • analyse de sous-groupes selon que le traitement était en cours ou était terminé
  • analyse par protocole.

Résultats

  • patients sortis de l’étude: 64 patients, répartis de manière égale entre les 2 groupes
  • critère de jugement primaire : pas de différence significative pour le MFSI-SF entre les 2 groupes après 4 semaines, mais, après 8 semaines, une amélioration significativement plus importante dans le groupe ginseng que dans le groupe placebo a été observée : respectivement 20 points (ET de 27 unités) et 10,3 points (ET de 26,1 unités) sur une échelle de 0 à 100 (p < 0,003) ; l’avantage était significatif uniquement chez les patients dont le traitement contre le cancer était en cours, et ce tant après 4 semaines qu’après 8 semaines (respectivement p = 0,02 et p = 0,01)
  • critères de jugement secondaires : significativement plus d’effet avec le ginseng qu’avec le placebo en ce qui concerne la fatigue physique (p = 0,004) et le score total pour le MFSI-SF (fatigue physique, fatigue mentale, fatigue émotionnelle, faiblesse) (p = 0,02) et en ce qui concerne la fatigue mesurée par le POMS (p = 0,008)
  • pas de différence quant aux effets indésirables entre le groupe ginseng et le groupe placebo.

Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que leurs résultats montrent un bénéfice du ginseng américain, à raison de 2 000 mg par jour, sur la fatigue liée au cancer après 8 semaines. Le traitement n’était pas associé à des effets toxiques importants. Des études supplémentaires sont nécessaires pour préciser le rôle du ginseng dans l’amélioration de la fatigue liée au cancer.

Financement de l’étude
L’étude a été menée conjointement par le North Central Cancer Treatment Group et la Mayo Clinic. L’étude a été financée par des fonds du Public Health Service et de la Breast Cancer Research Foundation.

Conflits d’intérêt
Pas mentionné.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie
Cette étude contrôlée randomisée multicentrique a été bien menée. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont précisément décrits. Les auteurs ont vérifié la qualité de la randomisation pour que les variables suivantes soient réparties de manière équilibrée entre les groupes : degré de fatigue, maladie nouvelle ou récidive, radiothérapie ou chimiothérapie, tumeur hématologique ou solide et nombre de mois de traitement anticancéreux. Il ressort du tableau mentionnant les caractéristiques des patients qu’aucune différence significative n’est constatée entre les 2 groupes quant aux caractéristiques et au degré de fatigue. Par ailleurs, les caractéristiques des patients qui sont sortis de l’étude après la randomisation ne sont pas différentes de celles des patients qui ont débuté le traitement. Lors du calcul de la puissance, on a aussi tenu compte de l’analyse de sous-groupes préalablement mentionnée dans le protocole (patients sous traitement versus patients qui avaient terminé le traitement). Dans les 2 groupes, le nombre de patients est suffisamment élevé (n > 150) pour permettre de montrer un effet petit à modéré avec une puissance de 90%. Les auteurs ont décrit de manière détaillée la préparation de ginseng utilisée. Le suivi a été limité à 8 semaines.
Les investigateurs ont effectué une analyse par protocole. L’imputation des données manquantes n’a pas influencé les résultats, ce que nous n’avons toutefois pas pu vérifier. Les auteurs ont également exprimé les critères de jugement primaires en pourcentage de patients présentant une amélioration de 10% et une amélioration de 30%. On peut regretter que ces résultats cliniquement pertinents ne soient présentés que sous forme graphique et n’aient pas été rendus en valeurs statistiques. Enfin, la terminologie CTCAE a été utilisée pour évaluer la toxicité médicamenteuse (http://ctep.cancer.gov/protocolDevelopment/electronic_applications/ctc.htm).

Interprétation des résultats
Le résultat de cette étude confirme ceux de 2 études pilotes (4,5). Après 8 semaines, l’effet relatif sur le critère de jugement primaire de la fatigue liée au cancer était 10% plus important avec le ginseng qu’avec le placebo. Il ressort de l’analyse de sous-groupes que l’amélioration significative se limite aux patients sous traitement anticancéreux. Cet effet est statistiquement significatif, mais la pertinence sur le plan clinique reste difficile à évaluer. Néanmoins, il ressort d’un tableau de l’article que versus placebo une amélioration de 10% de la fatigue est constatée chez environ 25% des patients prenant le ginseng et une amélioration de 30% pour 10% des patients sous ginseng. Mais par manque d’analyse statistique (voir plus haut), il est difficile d’interpréter correctement ces données. Quoi qu’il en soit, le diagramme montre clairement l’existence d’un effet placebo important. On ignore encore avec précision quel serait le mécanisme d’action du ginseng.

 

Conclusion de Minerva


Cette étude contrôlée randomisée, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que versus placebo la prise quotidienne de 2.000 mg de ginseng américain à court terme (après 4 et 8 semaines) diminue la fatigue chez les patients cancéreux sous traitement anticancéreux actif. La pertinence clinique de cette différence entre les groupes est cependant difficile à évaluer et le suivi de l’étude est trop court.

 

Pour la pratique


Il a déjà été montré que divers types d’exercices physiques, notamment la marche, le vélo, la natation, les exercices contre résistance et les exercices combinés, effectués plusieurs fois par semaine, ont pour effet de diminuer la fatigue chez les patients cancéreux pendant et après le traitement anticancéreux (2,6). Il est impossible d’émettre des recommandations spécifiques concernant les exercices les plus indiqués (exercices de type aérobie et/ou exercices contre résistance) et sur la manière de les effectuer (fréquence, durée et/ou intensité) car les données précises à ce sujet manquent (6). Le dépistage et le traitement de facteurs étiologiques éventuels, l’accompagnement dans la planification des activités, l’éducation, les mesures à prendre pour améliorer la qualité du sommeil, la thérapie de relaxation, les massages sont recommandés, mais ne sont étayés que par des preuves limitées (2). Pour le traitement de l’anémie avec une Hb < 10 g/dl, l’avantage de l’érythropoïétine doit être considéré au regard des effets indésirables potentiels (augmentation de la thrombo-embolie et hypertension, stimulation de la croissance tumorale) (2,3). En ce qui concerne le méthylphénidate, plusieurs petites études différentes ont montré un effet limité (2,3). Pour l’utilisation des autres médicaments, il n’existe pas suffisamment de preuves (2). La présente étude contrôlée randomisée montre un effet clinique limité du ginseng américain sur la fatigue liée au cancer. Aucun médicament à base de racine de Panax quinquefolius L n’est enregistré en Belgique. Il convient de bien distinguer cette espèce de ginseng du véritable ginseng, le Panax ginseng C.A. Meyer, qui provient d’Extrême-Orient. Actuellement, dans les études cliniques, aucune distinction explicite n’est constatée dans le mode d’action de ces deux espèces de ginseng (7-9).

 

Références

  1. Bennett B, Goldstein D, Lloyd A, et al. Fatigue and psychological distress - exploring the relationship in women treated for breast cancer. Eur J Cancer 2004;40:1689-95.
  2. Mitchell SA, Beck SL, Hood LE, et al. Putting evidence into practice: evidence-based interventions for fatigue during and following cancer and its treatment. Clin J Oncol Nurs 2007;11:99-113.
  3. Chevalier P. Médicaments et fatigue liée au cancer (suite). Minerva online 28/02/2011. Comment on Minton O, Richardson A, Sharpe M, et al. Drug therapy for the management of cancer-related fatigue. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 7.
  4. Younus J, Collins A, Wang X, et al. A double blind placebo controlled pilot study to evaluate the effects of ginseng on fatigue and quality of life in adult chemo-naïve cancer patients. J Clin Oncol 2003;22:733.
  5. Barton DL, Soori GS, Bauer BA, et al. Pilot study of Panax quinquefolius (American ginseng) to improve cancer-related fatigue: a randomized, double-blind, dose-finding evaluation: NCCTG trialN03CA. Support Care Cancer 2010;18:179-87.
  6. Chevalier P. Médicaments et fatigue liée au cancer. MinervaF 2009;8(4):51. Comment on Cramp F, Daniel J. Exercise for the management of cancer-related fatigue in adults. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 2.
  7. European Scientific Cooperative On Phytotherapy. Ginseng radix in: ESCOP Monographs. Published by ESCOP Exeter, Georg Thieme Verlag, Stuttgart 2003 pp. 211-222.
  8. Hänsel R, Keller K, Rimpler H, Schneider G. Panax in: Hagers handbuch der Pharmazeutischen Praxis. Springer Verlag, Berlin pp. 12-34.
  9. European Medicines Agency. Panax ginseng, in: Herbal Monographs. http://www.ema.europa.eu/ema/index.jsp?curl=pages/medicines/herbal/medicines/herbal_med_000106.jsp&mid=WC0b01ac058001fa1d (consulté le 30 juillet 2014).

 

 

 




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