Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité de la psychothérapie brève et longue versus psychanalyse



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 2 Page 15 - 16

Professions de santé


Analyse de
Knekt P, Lindfors O, Laaksonen MA, et al; Helsinki Psychotherapy Study Group. Quasi-experimental study on the effectiveness of psychoanalysis, long-term and short-term psychotherapy on psychiatric symptoms, work ability and functional capacity during a 5-year follow-up. J Affect Dis 2011;132:37-47.


Question clinique
Quelle est, après 5 ans, l’efficacité de la psychothérapie brève et longue versus celle de la psychanalyse en termes de symptômes psychiatriques, de capacité de travail et de fonctionnement général de patients psychiatriques présentant un trouble dépressif ou un trouble anxieux, en ambulatoire ?


Conclusion
Cette étude quasi-randomisée, qui présente des limites importantes sur le plan méthodologique, ne permet pas de tirer de conclusions fiables sur l’effet des différentes formes de psychothérapie brève et longue par rapport à la psychanalyse chez les personnes présentant un trouble dépressif ou un trouble anxieux.


 

 

Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone


 

Contexte

Pour traiter certaines affections psychiatriques, la psychothérapie psychodynamique brève s’est avérée efficace par rapport au maintien sur liste d’attente et aux soins habituels (1). L’efficacité de la thérapie comportementale cognitive (TCC) a également été établie pour traiter des troubles paniques (2) et la dépression chez des personnes âgées en première ligne de soins vs conversation (3). Une méta-analyse portant aussi bien sur des RCTs que sur des études d’observation a montré que la psychothérapie psychodynamique à long terme était plus efficace que les formes de psychothérapie brève, particulièrement en cas de troubles mentaux complexes (4). Une étude d’observation a montré que, versus psychothérapie longue, la psychanalyse avait une meilleure influence sur la symptomatologie psychiatrique déclarée par le patient, mais pas sur la capacité de travail (5).

 

Résumé

Population étudiée

  • 367 patients ambulants âgés de 20 à 45 ans (âge moyen d’environ 31 ans), dont 75 % environ de femmes, présentant depuis longtemps un dysfonctionnement au travail en raison d’un trouble dépressif ou d’un trouble anxieux selon les critères du DSM-IV
  • critères d’exclusion : trouble psychotique, trouble grave de la personnalité, trouble de l’adaptation, maladie somatique ou abus de substances, traitement préalable par psychothérapie au cours des 2 années précédentes, patients connus par les investigateurs.

Protocole d’étude

  • étude quasi-expérimentale
  • 326 patients randomisés dans trois groupes de psychothérapie :
    • thérapie orientée sur la résolution de problèmes (TORP) (séances toutes les 2 à 3 semaines, maximum 12 séances réparties sur 8 mois tout au plus) (n=97) 
    • psychothérapie psychodynamique brève (PPB) (aider les patients de manière ciblée dans l’exploration et la résolution de conflits intrapsychiques et interpersonnels ; 20 séances, 1x/semaine) (n=101) 
    • psychothérapie psychodynamique à long terme (PPL) (aider les patients de manière intensive dans l’exploration et la résolution d’un large éventail de conflits intrapsychiques et interpersonnels ; 2 à 3 séances par semaine pendant environ 3 ans) (n=128) 
  • 41 patients qui, de leur plein gré, ont bénéficié d’une psychanalyse (approche psychodynamique très intensive consistant en un travail en profondeur par association libre, 4 séances par semaine pendant plus ou moins 5 ans
  • suivi sur 5 ans.

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : symptômes dépressifs (évalués avec le BDI) score maximal de 63) ou la HDRS(score maximal de 62)) ; symptômes anxieux (évalués avec la HARS (score maximal de 56)) ; les capacités de travail et fonctionnelles (évaluées avec le WAI évalue les capacités de travail d’un collaborateur en déterminant dans quelle mesure ce dernier peut exécuter son travail, tant physiquement que psychiquement. Le score varie de 7 à 49 : score de 7 à 27 : « mauvaise capacité de travail » ; score de 28 à 36 : « capacités de travail moyennes » ; score de 37 à 43 : « bonnes capacités de travail » ; score de 44 à 49 : « très bonnes capacités de travail ».">WAI (score maximal de 49))
  • critères de jugement secondaires : rémission des symptômes dépressifs (BDI <10) ; récupération des capacités de travail (WAI > 36) ; recours à la psychothérapie, prise de médicaments psychotropes et hospitalisation psychiatrique
  • analyse en intention de traiter.

Résultats

Critères primaires :

  • symptômes dépressifs 
    • score BDI moyen diminué de 19,3 (ET 1,0) à 5,5 (ET 1,3) dans le groupe psychanalyse
    • score BDI versus psychanalyse, : à 1 an, diminution significative pour le TORP (-3,8 ; IC à 95% de -6,8 à -0,8) et pour le PPB (-4,3 ; IC à 95% de -7,3 à -1,3) ; à 5 ans diminution significativement moindre pour le TORP (+3,1 ; IC à 95% de +0,1 à +6,2) 
    • score HDRS moyen diminué de 15,5 (ET 0,7) à 6,7 (ET 0,9) dans le groupe psychanalyse
    • score HDRS versus psychanalyse : à 5 ans, diminution significativement moindre pour le TORP (+3,0 ; IC à 95% de +0,8 à +5,2) et pour le PPL (+2,2 ; IC à 95% de +0,1 à +4,3)
  • symptômes anxieux
    • score HARS moyen diminué de 16,6 (ET 0,8) à 7,1 (ET 0,9) dans le groupe psychanalyse
    • score HARS versus psychanalyse ; à 5 ans, diminution significativement moindre pour le TORP (+3,0 ; IC à 95% de +0,8 à +5,1)
    • score de la SCL-90-Anx : aucune différence entre la psychanalyse et les autres traitements
  • capacités de travail et fonctionnelles
    • score WAI moyen augmenté de 32,6 (ET 1,01) à 42,1 (ET 1,19) dans le groupe psychanalyse
    • score WAI versus psychanalyse ; à 1 an, augmentation significative pour le TORP (+2,5 ; IC à 95% de +0,1 à +4,9) ; à 5 ans, augmentation significative pour le TORP (-2,8 ; IC à 95% de -5,5 à -0,1) et le PPB (-4,6 ; IC à 95% de -7,3 à -1,9).
     

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les bénéfices sont plus rapides avec la psychothérapie qu’avec la psychanalyse, mais que cette dernière semble plus efficace à long terme. Ils ajoutent que dans le traitement des troubles de l’humeur et des troubles anxieux, chez les patients pour lesquels une psychanalyse est indiquée durant un suivi plus long, des études sont nécessaires avant de pouvoir tirer des conclusions définitives quant à l’efficacité relative de la psychanalyse et de la psychothérapie.

Financement 

Institut de Sécurité Sociale de Finlande qui n’est intervenu à aucun des stades de la recherche ni de la publication.

Conflits d’intérêt 

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs eux-mêmes signalent qu’il s’agit de la première étude contrôlée quasi-randomisée comparant l’efficacité de différentes approches en psychothérapie avec la psychanalyse.

Pour comparer l’efficacité de trois interventions attribuées aléatoirement, ils ont donc pris comme référence la psychanalyse. Les fondements scientifiques sur lesquels ils s’appuient pour considérer la psychanalyse comme traitement de référence des symptômes dépressifs et des symptômes anxieux sont toutefois peu solides (5). En outre, ils ont sélectionné un groupe de patients pour lesquels la psychanalyse était indiquée sur base de 4 critères d’indication et de 5 critères de contre-indication. Selon les auteurs, l’analyse a suffisamment tenu compte de ces critères pour permettre une comparaison fiable entre le groupe psychanalyse et les groupes randomisés. Les résultats ont également été corrigés pour d’autres facteurs de confusion. Le suivi de longue durée avec de fréquents entretiens, s’il est un élément positif indiscutable, a cependant, d’après les auteurs, empêché l’inclusion d’un groupe de patients recevant les soins habituels. Par ailleurs, les auteurs estiment que le grand nombre de critères de jugement définis a priori présente l’avantage de pouvoir examiner les effets de la psychothérapie sous différents angles. Une conséquence de la multiplicité des tests est toutefois d’augmenter le risque d'erreurs de type I, sans correction faite par les auteurs. Les seuils considérés par les investigateurs comme cliniquement pertinents pour les différents instruments de mesure ne sont pas mentionnés. Un calcul de puissance et une évaluation en insu de l’efficacité ne sont pas précisés.

Interprétation des résultats

Les résultats montrent que, comparées à la psychanalyse, les interventions psychothérapeutiques brèves ont eu un effet significativement plus important sur les symptômes dépressifs et sur les symptômes anxieux un an après le début du traitement. Après un suivi de cinq ans, cette différence s’est inversée à l’avantage du groupe psychanalyse (poursuivie durant 5 ans). Des résultats similaires sont observés pour la capacité de travail et pour le fonctionnement. En comparant les chiffres avec les scores maxima des divers instruments de mesure, nous constatons que les différences ne sont guère pertinentes sur le plan clinique. Comme signalé plus haut, cette étude ne visait pas non plus à montrer la supériorité de la psychanalyse. La question était de situer l’efficacité d’autres interventions psychothérapeutiques par rapport à celle d’une thérapie psychanalytique de longue durée chez un groupe de patients sélectionnés. Dans le groupe psychanalyse, la proportion de patients ayant un niveau de formation universitaire était plus élevée, ils avaient des capacités de réflexion plus importantes, et leur motivation était plus grande. Les populations des différents groupes sont donc différentes mais, aussi, les durées d’intervention sont fort différentes. Contrairement aux groupes randomisés, dans le groupe psychanalyse la thérapie a été poursuivie pendant toute la période de suivi. Le nombre de séances de thérapie réalisées variait d’une moyenne de 10 et 20 pour les traitements brefs, à 230 pour le groupe psychothérapie psychodynamique à long terme et à 650 pour le groupe psychanalyse. Les résultats ont été analysés sans tenir compte de la différence entre les nombres de séances. Les investigateurs ont cependant tenu compte des différences pour les traitements complémentaires (médicaments psychotropes pendant au moins six mois, minimum de vingt séances psychothérapeutiques supplémentaires ou encore une hospitalisation) entre la psychanalyse et la psychothérapie (28% contre 51%). En soustrayant l’efficacité des traitements complémentaires, la psychanalyse demeurait encore la plus efficace à la fin du suivi, mais toutes les autres différences significatives entre les traitements randomisés et la psychanalyse avaient disparu, tant pour l’amélioration des symptômes psychiatriques que pour l’amélioration de la capacité de travail. Les auteurs ont utilisé cette constatation comme argument pour affirmer que ces traitements complémentaires pourraient expliquer l’amélioration à long terme dans le cas d’une thérapie brève, mais pas dans le cas d’une psychanalyse.

Les auteurs ont essayé d’expliquer l’absence de différence entre la psychanalyse et les autres groupes de traitement sur le plan de la capacité de travail (nombre de jours d’absence et pourcentage de patients en mesure de travailler) par différents facteurs jouant un rôle dans l’absentéisme.

Il reste encore à savoir dans quelle mesure les meilleurs résultats à long terme de la psychanalyse resteront stables au cours du temps. Du fait que, pour la psychanalyse, il n’y a pas de suivi à proprement parler, il n’est pas possible d’exclure l’éventualité que ces patients, après cette longue thérapie intensive, se retrouvent plus tard avec les mêmes problèmes psychiatriques.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude quasi-randomisée, qui présente des limites importantes sur le plan méthodologique, ne permet pas de tirer de conclusions fiables sur l’effet des différentes formes de psychothérapie brève et longue par rapport à la psychanalyse chez les personnes présentant un trouble dépressif ou un trouble anxieux.

 

Pour la pratique

La thérapie comportementale cognitive est recommandée pour traiter tant les troubles affectifs que les troubles anxieux (6-9). L’efficacité de la psychothérapie psychodynamique et celle de la psychanalyse ne sont pas suffisamment prouvées pour que ces traitements figurent dans les guides de pratique actuels. En raison de ses limites sur le plan méthodologique, l’étude ici analysée n’apporte pas d’élément pouvant modifier les recommandations actuelles.

 

 

Références

  1. Leichsenring F, Rabung S, Leibing E. The efficacy of short-term psychodynamic psychotherapy in specific psychiatric disorders: a meta-analysis. Arch Gen Psychiatry 2004;61:1208-16.
  2. Luyten P. Thérapie comportementale cognitive en cas de trouble panique : 2 ans de suivi. MinervaF 2007;6(5):74-6.
  3. Declercq T, Poelman T. Dépression en première ligne chez la personne âgée : thérapie comportementale cognitive individuelle ? MinervaF 2010;9(7):86-7.
  4. Leichsenring F, Rabung S. Effectiveness of long-term psychodynamic psychotherapy: a meta-analysis. JAMA 2008;300:1551-65.
  5. Sandell R, Blomberg J, Lazar A, et al. Varieties of long-term outcome among patients in psychoanalysis and long-term psychotherapy. A review of findings in the Stockholm Outcome of Psychoanalysis and Psychotherapy Project (STOPP). In J Psychoanal Int 2000;81:921-42.
  6. Prodigy. Depression – Management. Which psychological interventions are available? Available at http://www.prodigy.clarity.co.uk/depression#-408893
  7. Price J, Butler R, Hatcher S, Von Korff M. Depression in adults: psychological treatments and care pathways. Clinical Evidence, Web publication date: 15 August 2007.
  8. Kumar S, Malone D. Panic disorder. Clinical Evidence, Web publication date: 16 December 2008.
  9. Gale CK, Millichamp J. Generalised anxiety disorder. Clinical Evidence, Web publication date: 27 October 2011.
Efficacité de la psychothérapie brève et longue versus psychanalyse



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