Revue d'Evidence-Based Medicine



Plaie chronique : infectée ou non ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 1 Page 10 - 11

Professions de santé


Analyse de
Reddy M, Gill SS, Wu W, et al. Does this patient have an infection of a chronic wound? JAMA 2012;307:605-11.


Question clinique
Quelle est la valeur des symptômes et signes cliniques et quelle est la meilleure technique de prélèvement non invasive pour diagnostiquer une infection d’une plaie chronique ?


Conclusion
Cette synthèse, qui reprend des études avec prévalence élevée d'infection de plaies chroniques, montre que des signes classiquement considérés comme des témoins de l’infection d’une plaie chronique (exsudat purulent, érythème, chaleur, odeur nauséabonde) ne sont pas des arguments probants/excluants d’une infection, sauf peut-être la présence d’une douleur pour suggérer une infection. D’autres signes ne semblent pas plus pertinents pour prouver ou exclure une infection d’une plaie chronique. De même, cette synthèse qui ne permet aucune sommation des résultats, n’apporte pas de preuve robuste de l’intérêt d’un test peu invasif particulier pour diagnostiquer cette infection.


 

 

Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone


 

Contexte 

Les plaies chroniques peuvent être le terrain d’une colonisation bactérienne. L’infection peut jouer un rôle dans l’étiologie, la vitesse de guérison ou une complication d’une plaie (1). Beaucoup de médecins se basent uniquement sur des critères cliniques pour juger si une plaie est infectée ou non. Des experts dans le domaine argumentent que ces signes ne sont pas toujours présents. Le standard de référence est la culture de biopsie de tissu profond. Ce standard est toutefois invasif et contre-indiqué dans certains types de plaie. Une synthèse de la littérature sur des moyens diagnostiques moins invasifs ainsi que sur la fiabilité des signes cliniques d’infection était utile.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • MEDLINE, EMBASE et CINAHL (jusqu’en novembre 2011)
  • listes de référence des études isolées.

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : étude décrivant l'anamnèse, l'examen physique, les manœuvres, les marqueurs biologiques ou radiologiques permettant de réaliser le diagnostic d'infection de plaie chronique chez des patients adultes ; étude permettant l'extraction des données pour la réalisation d'un tableau 2 x 2 contingences ou rapportant les caractéristiques de l'outil diagnostique ; test ou signe comparé à un standard de référence (culture d'une biopsie profonde) ou, à défaut, à autre standard communément utilisé.
  • critères d’exclusion : plaies aiguës (chirurgicales, traumatiques,..).
  • 15 études incluses.

Population étudiée

  • 985 patients adultes souffrant de plaies chroniques (total de 1 056), quelle qu'en soit l'origine : escarre, ulcère variqueux, pied diabétique,..

Mesure des résultats

  • test diagnostique de référence: culture d'une biopsie : positive si plus de 100 000 microorganismes par gramme, ou n'importe quelle densité de streptocoque β-hémolytique
  • la réalisation de ce test étant contre-indiquée dans certaines circonstances, d'autres tests d'une validité incertaine incluant des cultures de divers prélèvements ou la mesure de marqueurs biologiques ont été utilisés
  • techniques de frottis particulières :
    • technique de Levine : écouvillon tourné dans une région de 1cm sur 1 cm pendant 5 secondes avec suffisamment de pression que pour extraire des sérosités
    • prélèvement en formant la lettre Z sur l’ensemble de la plaie.
     

Résultats

  • dans les 6 études avec un bon niveau de qualité (de 1 à 3), la prévalence d'infection est élevée : 45% des plaies (IC à 95% de 32% à 58%)
  • fiabilité des signes et symptômes : les signes classiques (exsudat purulent, indicateurs d’inflammation) et le retard de guérison ne sont pas précis ni pour confirmer ni pour infirmer une infection de la plaie sauf peut-être la douleur (voir tableau 1)
  • fiabilité des techniques de prélèvement non invasif (N = 4, n = 198) : Forces Probantes ( £) et Excluantes faibles pour toutes les techniques (voir tableau 2 sur le web)
  • hors test de référence : taux de globules blancs ou la VS de même valeur que les signes et symptômes cliniques ; CRP négative de même valeur que les signes cliniques pour exclure une infection.

(£) sauf 1 étude sur 2 pour la technique de Levine (FP = 6,3)

 

Tableau 1. rapport de vraisemblance positif permet d’estimer dans quelle mesure la présence d’une maladie chez un patient est plus plausible après un résultat de test positif. On peut également parler de la force probante d'un résultat de test positif. C’est la relation entre la probabilité d’un test positif chez les malades et chez les non-malades. LR+ = sensibilité / (1 – spécificité). Ce nombre est plus grand que 1. Un test diagnostique positif confirme d’autant plus le diagnostic que le LR+ tend vers l’infini.">Rapports de vraisemblance positif (LR+, Force Probante) et négatif (LR-) et force excluante pour les signes et symptômes dans le diagnostic d'infection d'une plaie chronique, en valeur avec IC à 95% (chiffre par étude).

 

LR+ (= F probante)

 (IC à 95%)

LR-

(IC à 95%)

F Excluante**

Ulcère davantage douloureux

11 (0,58 - 200)

20 (1,1 – 334)

0,88 (0,75 – 1,0)

0,64 (0,41 - 0,99)

1,14

1,58

Exsudat purulent

0,74 (0,29 – 1,5)

0,50 (0,13 – 2,0)

1,1 (0,86 – 1,6)

1,3 (0,85 – 1,9)

0,88

0,78

Guérison retardée

1,0 (0,61 – 1,8)

2,3 (1,3 – 4,1)

0,96 (0,60 – 1,6)

0,29 (0,08 – 1,0)

1,04

3,36

Exsudat purulent + 2 indicateurs

d'inflammation* en cas de plaie d'ulcère

diabétique

0,96 (0,60 - 1,6)

1,0 (0,61 - 1,8)

0,79

* douleur, érythème, induration, chaleur, œdème
** Force excluante calculée par la rédaction

 

 

Tableau 2. Rapports de vraisemblance positif (LR+) et négatif (LR-) pour les méthodes non invasives de diagnostic d'infection de plaie chronique, valeur avec IC à 95%.

 

LR+

LR-

F excluante

Technique de Levine

1 étude de niveau 1

1 étude de niveau 2

6,3 (2,5-15)

2 (0,9-4,3)

0,47 (0,31-0,73)

0,35 (0,15-0,85)

2,12

2,86

Z-technique

1,3 (0,91-2)

0,69 (0,41-1,2)

1,43

Culture sur exsudat de plaie

1,7 (0,95-3,3)

0,76 (0,53-1,1)

1,32

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la présence d’une douleur accrue peut augmenter la probabilité d’une infection d’une plaie chronique. D’autres preuves restent à rechercher montrant l’intérêt diagnostique, s’il existe, d’un type de prélèvement quantitatif pour culture.

Financement

Canadian Institutes of Health Research (CIHR) Institute of Gender and Health and the CIHR Institute of Aging

  

Conflits d’intérêt

Aucun conflit d'intérêt rapporté.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique présente plusieurs limites. Trois bases de données ont été consultées mais les mots clés décrits pour les recherches ne semblent pas être les termes « MeSH » classiques (« wound infection », « skin ulcer », « varicose ulcer »). Une autre critique est que la recherche et la sélection des études n'ont été effectuées que par un seul chercheur. Nous pouvons craindre que certaines études aient pu être oubliées. Nous ne savons pas si les auteurs des études originales ont été contactés pour avoir accès aux données manquantes ; de ce fait, à nouveau, certaines données utiles ont pu être omises. L'évaluation de la qualité méthodologique des articles semble par contre adéquate car réalisée de manière indépendante par 3 chercheurs selon des grilles de référence.

Les méthodologies des études incluses sont variées et les résultats de niveau de preuve différents. Les éléments évalués ne sont pas toujours comparés au même test de référence, même pour les 6 études dites de bonne qualité qui prennent en compte des définitions différentes d’infection en termes de concentration de bactéries et d’inclusion ou non de streptocoque β-hémolytique quelqu’en soit le taux. Ces critères larges nous mettent d'emblée en garde quant à une hétérogénéité clinique et à une synthèse difficile des résultats. Les données des différentes études n’ont donc pas pu être rassemblées et les résultats ne sont également pas pondérés.Les auteurs mentionnent certaines limites des études originales, notamment le manque d'analyse des différences interobservateurs des signes cliniques alors que ceux-ci sont subjectifs. Pour le niveau de preuve, ils classent les études selon 5 catégories de preuve : les études de niveau 1 à 3 avec comparaison indépendante des tests (vs test de référence avec de nombreux patients consécutifs, moins nombreux et non consécutifs respectivement) et les études de niveau 4 à 5 sans comparaison indépendante des tests (vs test de référence et non).

Interprétation des résultats

Parmi les 6 études avec niveau de preuve de 1 à 3, quatre concernent des lieux de soins aigus, deux des soins ambulatoires, ce qui peut influencer la présentation clinique : les infections à « bas bruit » sont moins représentées et la douleur pousse davantage les patients dans ce type de consultation. Les critères d'inclusion sont relativement larges sans restriction de niveau des soins, de comorbidité ou du type de plaie chronique ou d’âge (à l’exclusion des enfants). Les auteurs mentionnent que différents types de plaies sont regroupés, or le contexte de survenue des plaies (ulcère variqueux versus ulcère de pression par exemple) peut influencer les signes d'infections. Il conviendrait de pouvoir avoir des études pour chacun des types de plaies chroniques avec prise en compte du contexte (artérite, diabète,..).

Deux études en soins « aigus », montrent que l'augmentation de la douleur de la plaie est le seul argument présentant une bonne force probante (>6) pour confirmer un diagnostic d'infection de plaie. L'absence de majoration de la douleur ne permet par contre pas, comme tous les autres arguments, d'exclure l'infection. Toutefois lorsque les intervalles de confiance à 95% pour les forces probantes des deux études incluses sont analysés (LR+ de 11 avec IC à 95% de 0,58 à 200 et LR+ de 20 avec IC à 95% de 1,1 à 334), nous constatons qu’ils sont fort larges avec donc une pertinence très limitée, sans sommation possible.

Un autre argument avancé pour exclure l'infection est la guérison rapide de la plaie mais à nouveau la force excluante de cet argument est (très) faible.

Pour ce qui est des tests diagnostiques non invasifs, le meilleur test (force probante de 6,3) serait, selon une étude de bonne qualité, le prélèvement selon la technique de Levine, pratiquée dans un Centre de Recherche, mais une étude de moins bonne qualité donne des résultats non concordants (force probante très faible).

 

Autres études

Peu de données existent dans la littérature sur la valeur des signes et symptômes cliniques pour ce qui est du diagnostic d'infection des différents types de plaies chroniques. Certains guides de bonne pratique évoquent les critères diagnostiques des infections de plaies. Pour un premier guide (2), les signes augmentant la probabilité d'infections de plaies chroniques seraient : augmentation de la douleur, changement de l'aspect de l'exsudat, augmentation de la friabilité, dégradation de la plaie, odeur nauséabonde. Des infections profondes pourraient causer de l'érythème et de la chaleur au niveau des marges de la plaie. Un deuxième guide (3), donne les éléments suivants : érythème, œdème, odeur, exsudat purulent, odeur nauséabonde, augmentation dans la douleur de l’ulcère, fièvre, tissu friable. Ils se basent, entre autres sur les travaux de Bates-Jensens (4) non repris dans la présente synthèse.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse, qui reprend des études avec prévalence élevée d'infection de plaies chroniques, montre que des signes classiquement considérés comme des témoins de l’infection d’une plaie chronique (exsudat purulent, érythème, chaleur, odeur nauséabonde) ne sont pas des arguments probants/excluants d’une infection, sauf peut-être la présence d’une douleur pour suggérer une infection. D’autres signes ne semblent pas plus pertinents pour prouver ou exclure une infection d’une plaie chronique. De même, cette synthèse qui ne permet aucune sommation des résultats, n’apporte pas de preuve robuste de l’intérêt d’un test peu invasif particulier pour diagnostiquer cette infection.

 

Pour la pratique

En l’absence de guide spécifique pour les plaies chroniques infectées, un guide de pratique pour les plaies chroniques recommande une stratégie de traitement de l’infection des plaies selon la gravité de cette infection en se basant sur des niveaux de preuve souvent (très) bas (5). Il propose comme technique de référence pour diagnostiquer une infection de plaie chronique une culture sur biopsie de la plaie, test de référence repris dans la synthèse analysée ici.

Cette synthèse de la littérature n’apporte pas de preuve qu’un signe/symptôme constitue un argument pertinent pour prouver ou exclure une infection d’une plaie chronique. Un prélèvement avec durée (5 secondes) et pression suffisante (extraire des sérosités) pourrait être performant pour prouver une infection, mais ceci reste à confirmer.

 

Références

  1. O'Meara S, Al-Kurdi D, Ologun Y, Ovington LG. Antibiotics and antiseptics for venous leg ulcers. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 1.
  2. Frank C, Bayoumi I, Westendorp C. Approach to infected skin ulcers. Can Fam Physician 2005;51:1352-9.
  3. Association for the Advancement of Wound Care (AAWC). Association for the Advancement of Wound Care guideline of pressure ulcer guidelines. Malvern (PA): Association for the Advancement of Wound Care (AAWC); 2010. 14 p.
  4. Bates-Jensen BM. The pressure sore status tool a few thousand assessments later. Adv Wound Care 1997;10:65-73.
  5. Robson MC, Barbul A. Guidelines for the best care of chronic wounds. Wound care guidelines of the wound healing society 2007.
Plaie chronique : infectée ou non ?

Auteurs

Leconte S.
Centre Académique de Médecine Générale, Université Catholique de Louvain
COI :

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