Revue d'Evidence-Based Medicine



Dépistage des sujets à risque de cancer du poumon en première ligne



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 4 Page 47 - 48

Professions de santé


Analyse de
Hippisley-Cox J, Coupland C. Identifying patients with suspected lung cancer in primary care: derivation and validation of an algorithm. Brit J Gen Pract 2011;e715-23.


Question clinique
Quelle est la précision d’un algorithme diagnostique reposant sur des symptômes et des facteurs de risque pour le diagnostic précoce du cancer du poumon en première ligne de soins ?


Conclusion
Cette étude conclut qu’un algorithme diagnostique reposant sur des symptômes et des facteurs de risque pourrait permettre d’identifier un groupe de patients présentant un risque accru de présenter un cancer du poumon dans les 2 années suivantes. Ce gain est cependant associé à un nombre important de faux positifs. Cette étude ne permet pas de préciser si l’implantation de cet algorithme peut également permettre de diminuer la mortalité (liée spécifiquement au cancer du poumon).


 

 

Contexte

Le pronostic d’un cancer du poumon dépend de son stade d’évolution lors du diagnostic (1). Un diagnostic précoce serait possible en recourant à un dépistage systématique et à une référence en temps utile des patients symptomatiques, en première ligne de soins.

 

Résumé

Population étudiée

  • 3 748 456 patients âgés de 30 à 84 ans (âge moyen de 49 ans), avec dossier médical électronique (DME) auprès de 564 pratiques de médecine générale en Angleterre et au Pays de Galle, du 1 janvier 2000 au 30 septembre 2010 ; 51% n’ayant jamais fumé, 17% d’ex-fumeurs
  • critères d’exclusion : patients sans référence du code postal (lien avec le score de déprivation de Townsend), avec antécédent de cancer pulmonaire, avec signe d’alarme (hémoptysie, perte d’appétit, perte de poids récente) dans les 12 derniers mois.

Protocole d’étude

  • étude de cohorte prospective, avec randomisation en deux grappes des pratiques de médecine générale utilisant le système informatique Egton Medical Information Systems (EMIS®, 60% des pratiques de médecine générale au R.-U.)
  • 2/3 des pratiques pour une cohorte (dite de « dérivation ») avec évaluation en analyse de régression de Cox de différents symptômes d’alarme, avec données démographiques et de comorbidité, pour prédire un diagnostic de cancer du poumon (enregistré dans le DME ou via la base de données nationale) dans les 2 ans ; inclusion des variables montrant une signification statistique (HR <0,80 ou >1,20 avec p<0,01) dans l’algorithme diagnostique
  • 1/3 des pratiques pour une validation de la précision diagnostique de l’algorithme sur une courbe ROC en prenant le guide de pratique de NICE en vigueur comme référence, guide recommandant de référer pour exclure/montrer un cancer du poumon chez des (ex-)fumeurs âgés d’au moins 40 ans présentant une hémoptysie (signe d’alarme).

   

Mesure des résultats

  • sensibilité et valeur prédictive positive de l’algorithme diagnostique pour prédire le diagnostic d’un cancer du poumon dans les 2 ans
  • analyse selon le sexe.

Résultats

  • variables identifiées et sélectionnées dans la cohorte de “dérivation” : hémoptysies, perte d’appétit, perte de poids, toux, IMC, score de déprivation de Townsend, status tabagique, BPCO, anémie, antécédent de cancer chez la femme
  • précision de l’algorithme diagnostique dans la cohorte de validation : ROC de 0,92 (IC à 95% de 0,91 à 0,93), aussi bien pour les hommes que pour les femmes 
  • pour les sujets au-dessus du percentile 90, avec un score de risque à 2 ans > 0,37%, la sensibilité du test est de 77,3% et la valeur prédictive positive de 1,3% pour un diagnostic de cancer du poumon dans les 2 ans.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que leur algorithme possède une bonne qualité de discrimination et de calibration autorisant son utilisation dans l’identification des sujets à risque le plus élevé de cancer du poumon, permettant ainsi une référence et des investigations précoces.

 

Financement de l’étude

Aucun financement externe

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les 2 auteurs sont rémunérés par un producteur (Clin Risk Ltd) d’algorithmes cliniques ; le premier auteur est financièrement liée à la société EMIS qui commercialise le programme de gestion informatique des dossiers médicaux.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude prospective présente une validité interne importante au vu du nombre de patients inclus, du suivi prolongé, de l’absence de risque de biais de sélection, de biais de déclaration et de biais de participation. Pour certains symptômes ou facteurs de risque, un biais d’information ne peut cependant être exclu. Il est possible que des symptômes légers n’aient pas été signalés au médecin traitant ou insuffisamment mentionnés dans le dossier. L’enregistrement de certains ex-fumeurs dans le groupe des personnes n’ayant jamais fumé ne peut être exclu. Les antécédents familiaux de cancer du poumon ne sont pas systématiquement explorés, avec donc un risque de mention incomplète. Les rapports de hasards pour des symptômes légers, le statut tabagique et les antécédents familiaux de cancer du poumon peuvent donc être faussement moindres. Suivant les auteurs, l’incidence de cancer du poumon dans les dossiers médicaux des médecins généralistes correspondrait avec celle figurant dans le registre national du cancer. Une limite importante de cette étude est l’absence de mention du stade du cancer du poumon, aussi bien dans le dossier du médecin généraliste que dans le registre national du cancer. Les résultats de cette étude ne peuvent donc permettre de conclure quant à la capacité de l’algorithme diagnostique à diagnostiquer précocement un cancer du poumon et à diminuer la mortalité (spécifiquement liée au cancer du poumon). Le recours à la même cohorte globale pour la « dérivation » et la validation de l’algorithme est méthodologiquement correct, mais nuit, d’autre part, à la validation externe des résultats de cette étude.

 

Interprétation des résultats

La validation de l’algorithme montre sa sensibilité relativement bonne, mais avec une valeur prédictive positive cependant faible. Nous pouvons indirectement en conclure que l’algorithme isole de nombreux faux positifs et que sa spécificité est donc basse. Le motif d’une absence de mention par les auteurs de chiffres concernant la spécificité, la valeur prédictive négative et les rapports de vraisemblance reste non élucidé. Ces auteurs n’expliquent également pas pourquoi un antécédent personnel de cancer constitue un facteur de risque pour les femmes mais non pour les hommes. Cette différence est-elle liée à la survenue à un âge plus jeune du cancer du sein ?

Les résultats de cette étude ne peuvent être extrapolés à la première ligne de soins hors Royaume-Uni étant donné les différences d’organisation des soins et de possibles différences dans l’incidence de cancer du poumon entre Royaume-Uni et Belgique.  

 

Autres études

Les résultats de cette étude sont à mettre en perspective avec ceux de deux publications récentes. L’étude PLCO (2) ne montre pas de différence après 13 ans entre la pratique durant 3 ans d’une RX Thorax annuelle et des soins usuels en termes d’incidence de cancer du poumon, de mortalité liée à celui-ci et de mortalité globale. L’étude NLST (3) montre par contre, après 6,5 ans, une diminution de la mortalité liée au cancer du poumon grâce à la pratique d’un CT scan thoracique annuel versus RX Thorax durant 3 ans, avec un NST de 308, sans différence pour la mortalité globale. La différence entre les résultats de ces 2 études pourrait être liée à l’inclusion unique, dans l’étude NLST, de sujets avec plus de 30 années-paquets de tabagisme. Cependant, une analyse secondaire de l’étude PLCO qui n’incluait que les sujets présentant des caractéristiques semblables à celles des patients de l’étude NLST, ne montre également pas de diminution de la mortalité liée au cancer du poumon, constatation conduisant à exclure une RX Thorax comme moyen de dépistage du cancer du poumon (4).

Dans ces 2 études PLCO et NLST, le nombre de faux positifs est élevé (jusqu’à 95% dans l’étude NLST), ce qui entraîne de nombreux examens complémentaires inutiles (5), avec une tension psychologique mais aussi avec une augmentation des effets indésirables (pneumothorax, atélectasie, infections) (4).

La plus-value d’un algorithme basé sur les symptômes et les facteurs de risque (tel le tabagisme) pourrait être l’identification d’une population à risque pour une imagerie alors ciblée pour dépister précocement un cancer du poumon. Le protocole de l’étude de Hippisley-Cox ne ciblait pas la réponse à cette question. Une étude est actuellement en cours, évaluant l’efficacité d’un modèle de diagnostic avec un dépistage au moyen d’un CT scan spiralé versus soins usuels chez des patients avec risque augmenté de cancer du poumon (6).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude conclut qu’un algorithme diagnostique reposant sur des symptômes et des facteurs de risque pourrait permettre d’identifier un groupe de patients présentant un risque accru de présenter un cancer du poumon dans les 2 années suivantes. Ce gain est cependant associé à un nombre important de faux positifs. Cette étude ne permet pas de préciser si l’implantation de cet algorithme peut également permettre de diminuer la mortalité (liée spécifiquement au cancer du poumon).

 

Pour la pratique

Suivant le guide de pratique de NICE (7) concernant le diagnostic et le traitement du cancer du poumon, un diagnostic précoce de ce cancer est important. Un dépistage systématique n’est pas recommandé. Un dépistage de cas, au moyen d’un CT scan du Thorax, n’a montré, selon ce guide, aucune plus-value en termes de mortalité (7). Un guide plus ancien de NICE (8) qui concernait la prise en charge en cas de suspicion de cancer, recommandait de référer plus rapidement (< 3 semaines) des fumeurs actifs ou des ex-fumeurs, des patients avec BPCO liée au tabac, avec asbestose ou antécédent de cancer s’ils présentaient des symptômes suggestifs de cancer du poumon (hémoptysie, douleurs thoraciques et scapulaires, dyspnée, perte de poids, voix enrouée, hippocratisme digital, ganglions cervicaux ou supraclaviculaires, toux).

La présente étude ne remet pas ces recommandations en question.

 

 

Références

  1. van Rens MT, de la Rivière AB, Elbers HR, van Den Bosch JM. Prognostic assessment of 2,361 patients who underwent pulmonary resection for non-small cell lung cancer, stage I, II, and IIIA. Chest 2000;117:374-9.
  2. Oken MM, Hocking WG, Kvale PA, et al; PLCO Project Team. Screening by Chest Radiograph and Lung Cancer Mortality: the Prostate, Lung, Colorectal, and Ovarian (PLCO) randomized trial. JAMA. 2011;306:1865-7.
  3. The National Lung Screening Trial Research Team, Aberle DR, Adams AM, Berg CD, et al. Reduced lung-cancer mortality with low-dose computed tomographic screening. N Engl J Med 2011;365:395-409.
  4. Lacasse Y. Screening with chest radiography dit not reduce lung cancer mortality in older patients. ACP Journal Club 2012;156:JC3-8.
  5. Gross CP. Screening with low-dose computed tomography reduced lung cancer mortality in high-risk patients. ACP Journal Club 2011;155 (5)
  6. Baldwin DR, Duffy SW, Wald NJ, et al. UK Lung Screen (UKLS) nodule management protocol: modelling of a single screen randomised controlled trial of low-dose CT screening for lung cancer. Thorax (2011); doi:10.1136/thx.2010.152066
  7. National Institute for Health and Clinical Excellence. The diagnosis and treatment of lung cancer. National Collaborating Centre for Cancer, April 2011.
  8. The National Collaborating Centre for Primary Care. Referral guidelines for suspected cancer in adults and children. April 2011. .
Dépistage des sujets à risque de cancer du poumon en première ligne

Auteurs

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

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