Revue d'Evidence-Based Medicine



Quand le patient et le médecin ont des attentes différentes…



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 5 Page 53 - 53

Professions de santé


 

 

Pour un médecin, il n’est pas facile de toujours dégager toutes les attentes du patient (1). Nous sommes parfois tout bonnement insuffisamment au courant de ce que le patient attend précisément de nous (2,3). L’utilité d’un traitement particulier est souvent évaluée (beaucoup) plus importante par le patient que par le médecin. L’optimisme d’un patient individuel quant à la plus-value d’un traitement spécifique pour la guérison de sa maladie s’oppose alors souvent au doute étayé du médecin. Les patients demandent aussi parfois à recevoir un médicament récent dont l’efficacité et la sécurité sont insuffisamment établies versus autres médicaments plus anciens, moins onéreux, selon Minerva et d’autres sources EBM. Cette demande du patient est souvent suscitée par des messages publicitaires de l’industrie pharmaceutique (4). Comment négocier avec un patient proposant un traitement avec lequel vous n’êtes pas d’accord en tant que médecin bien informé ? La relation médecin-patient n’est-elle pas mise en danger par un refus du médecin de suivre sans réserve la demande du patient ?

 

 

Quelles stratégies les médecins emploient-ils quand les patients consultent avec une demande impossible ?

Dans une étude récente effectuée en Californie (5), des patients simulés ont été formés pour se présenter chez des médecins avec les plaintes fatigue, palpitations et symptômes de dépression majeure ou avec un tableau de fatigue, lombalgies et symptômes de surmenage. Les deux groupes de patients ont été ensuite subdivisés en patients demandant explicitement soit un antidépresseur récent ou existant depuis plus longtemps soit sans demande complémentaire. Parmi les 199 patients réclamant un antidépresseur, 88 (soit 44%) n’en ont pas reçu. L’intérêt principal de cette étude réside dans l’analyse qualitative effectuée par les chercheurs concernant le processus utilisé par le médecin pour ne finalement pas accéder à la demande du patient. La plupart des médecins (63%) choisissent une approche orientée patient. Ils demandent des informations complémentaires au patient et basent leur avis sur ces éléments. La demande d’aide est en général davantage explorée (« Où avez-vous vu l’annonce de ce médicament ? », « Qu’est-ce qui vous semble vrai pour vous dans cette annonce ? ») pour ensuite proposer souvent une attitude attentiste. Un consensus est souvent obtenu avec le patient pour faire appel à un psychologue ou le médecin parvient à convaincre le patient qu’il s’agit seulement d’un creux passager. La deuxième stratégie utilisée (31%) pour esquiver la demande d’un antidépresseur est d’ordre biomédical. Seule la plainte fatigue est prise en considération et un somnifère est finalement prescrit ou une demande de tests biologiques est faite. Seuls 6% des médecins refusent fermement la demande du patient et se concentrent uniquement sur le problème physique.

La relation médecin-patient souffre-t-elle d’une non acceptation sans réserve de la demande du patient ?

Une étude de cohorte a montré que des patients qui ne recevaient pas la prescription médicamenteuse étaient moins satisfaits. Cette observation ne concernait pas le refus de certains tests ou références (1). Une enquête téléphonique a indiqué qu’un quart des patients éconduits pour une prescription faisait appel à un autre médecin et qu’une petite partie d’entre eux mettait fin à la relation avec leur médecin (6). Il faut souligner que dans cette étude de Paterniti la majorité (66%) des patients demandant un antidépresseur en reçoivent l’ordonnance. Le contexte dans lequel cette prescription se déroule n’est hélas pas davantage exploré par les auteurs. Il semble cependant clair que la satisfaction des patients auxquels une prescription est refusée est statistiquement meilleure quand ils sont impliqués dans la décision que dans la situation où l’approche médicale est uniquement clinique physique ou la demande refusée sans plus. Nous pouvons donc en conclure que la satisfaction du patient dépend de la façon dont il est impliqué dans la décision même si la « décision négociée » va à l’encontre de sa demande initiale. Ces dernières années la formation médicale pratique des médecins est davantage attentive à explorer les idées, craintes et attentes des patients. Cette incursion dans l’univers de la pensée du patient constitue avec l’expérience clinique du médecin et les aspects scientifiques issus de l’Evidence-Based Medicine, les 3 éléments dont la rencontre est indispensable pour une approche clinique basée sur l’EBM (2,7). Plusieurs études ont montré l’importance de ne pas sous-estimer ce pilier « patient ». Par exemple, en ce qui concerne la prescription d’antibiotiques en cas de mal de gorge, les patients qui demandent un antibiotique veulent en fait être examinés convenablement et recevoir un remède contre la douleur (8). Une exploration approfondie des craintes et attentes du patient semble également être associée à moins de nouvelles prescriptions médicamenteuses (3).

Nous pouvons donc conclure que des attentes apparemment divergentes entre médecin et patient peuvent, dans le cadre d’une communication correcte, déboucher sur une décision négociée dans laquelle l’expertise clinique et scientifique du médecin est respectée sans compromettre la relation médecin-patient.

 

Références

  1. Peck BM, Ubel PA, Roter DL, et al. Do unmet expectations for specific tests, referrals, and new medications reduce patients' satisfaction? J Gen Intern Med 2004;19:1080-7.
  2. van Driel M. Evidence-Based medicine: het perspectief van de patiënt. [Editoriaal] Minerva 2000;29(9):412-3.
  3. Matthys J, Elwyn G, Van Nuland M, et al. Patients’ ideas, concerns, and expectations (ICE) in general practice: impact on prescribing. Br J Gen Pract 2008;58:29-36.
  4. De Meyere M. Publicité médicamenteuse à la télévision : bientôt dans toute l’Europe ? [Editorial] MinervaF 2008;7(1):1.
  5. Paterniti DA, Fancher TL, Cipri CS, et al. Getting to "no": strategies primary care physicians use to deny patient requests. Arch Intern Med 2010;170:381-8.
  6. Bell RA, Wilkes MS, Kravitz RL. Advertisement-induced prescription drug requests: patients' anticipated reactions to a physician who refuses. J Fam Pract 1999;48:446-52.
  7. Chevalier P. Niveaux de preuve et de recommandation. MinervaF 2011;10(5):64.
  8. van Driel ML, De Sutter A, Deveugele M, et al. Are sore throat patients who hope for antibiotics actually asking for pain relief? Ann Fam Med 2007;4:494-9.
Quand le patient et le médecin ont des attentes différentes…

Auteurs

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

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