Revue d'Evidence-Based Medicine



Des chiffres aux citations…Etude qualitative : méconnue mal-aimée ?



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 2 Page 13 - 13

Professions de santé


Des chiffres aux citations…Etude qualitative : méconnue mal-aimée ?

Depuis sa création, les analyses publiées par Minerva sont consacrées quasi exclusivement à la recherche quantitative et plus particulièrement aux études cliniques randomisées. Ce faisant, nous nous sommes heurtés plus d’une fois aux limites de cette forme de recherche scientifique. Ainsi, nous devons régulièrement constater l’insuffisance des réponses que les études cliniques randomisées apportent aux questions complexes. Par exemple : Comment prévenir les complications micro- et macro-vasculaires chez les patients atteints de diabète de type 2 associé à une polymorbidité ? Pour pouvoir répondre à cette question, mener seulement une étude clinique randomisée portant sur l’efficacité d’un médicament ne suffit pas. Il nous faut aussi connaître certains aspects de l’observance thérapeutique des patients ou étudier l’adhérence aux guides de bonne pratique des soignants (1). De même, nous avions constaté que pour étayer les soins de fin de vie, on ne peut pas se limiter aux résultats de la recherche quantitative (2). Il existe bien sûr une multitude d’autres questions qui ne se réduisent pas à des questions objectives, telles que Combien ? À quelle fréquence ? pour lesquelles les RCTs sont très bien conçues. Lorsque nous voulons connaître le comment et le pourquoi d’un symptôme donné dans son contexte naturel (social, historique ou individuel), nous pouvons nous appuyer sur une méthode de recherche qualitative. Il est important de mentionner qu’il n’est pas question de considérer la recherche qualitative comme étant inférieure à la recherche quantitative, mais plutôt comme complémentaire. Dans de nombreux cas, la recherche qualitative fournit des informations nécessaires afin de mener une étude quantitative adéquate.

Si, par exemple, nous voulons savoir dans quelle mesure les médecins généralistes adhèrent et appliquent les guides de bonne pratique, ou si nous voulons connaître l’impact de l’application de ces guides de bonne pratique sur la morbidité, la mortalité, la guérison, les événements non prévus, les complications ou la satisfaction des patients, il sera judicieux d’opter pour une étude quantitative (3). Par exemple, une étude d’observation publiée en 2013 et menée aux Pays-Bas a montré que les médecins généralistes n’appliquent que trop rarement les recommandations des guides de bonne pratique lorsqu’ils doivent prendre une décision d’ordre thérapeutique pour les patients atteints d’insuffisance cardiaque (4). Concernant ce point, de nombreuses études d’intervention se sont déjà penchées sur l’efficacité des stratégies visant une meilleure mise en œuvre des guides de bonne pratique (5). Les résultats de ces études sont certainement utiles, mais ils ne nous apportent pas assez d’éléments pour identifier les facteurs qui déterminent pourquoi les médecins généralistes utilisent les guides de bonne pratique, ou pas, dans leur pratique quotidienne. Pour le savoir, nous devons étudier plus profondément la pensée, les représentations, les obstacles des médecins généralistes. Des recherches basées sur des entretiens avec les outils méthodologiques des études qualitatives sont plus à même d’apporter des réponses adéquates (6). L’hypothèse de travail étant la suivante : si nous connaissions les éléments qui ont de l’importance pour les médecins généralistes lorsqu’ils ont recours aux guides de bonne pratique pour leurs prises de décisions cliniques, nous pourrions ensuite adapter les guides de bonne pratique et nous pourrions ultérieurement de nouveau étudier l’impact de cette adaptation sur l’utilisation des guides de bonne pratique par les médecins (7). La boucle serait ainsi bouclée dans une démarche pragmatique et qualitative.

 

Dans la recherche expérimentale, le protocole d’étude détermine la procédure de sélection de la population étudiée, les critères de jugement, la méthode de mesure et la manière d’analyser les résultats pour confirmer ou rejeter l’hypothèse de départ. Contrairement à cette méthodologie stricte, la recherche qualitative est plus ouverte dans le but d’acquérir des connaissances sur le réel (7). Partant d’une hypothèse de travail, une méthodologie est définie, telle qu’une observation déterminée par exemple (comme un entretien structuré), et appliquée à un certain nombre de personnes possédant une caractéristique donnée (des médecins généralistes d’une région précise, par exemple) (8). La taille de l’échantillon n’est pas nécessairement fixée à l’avance. Les inclusions peuvent se poursuivre aussi longtemps que l’on acquiert de nouvelles connaissances, en d’autres termes, jusqu’à ce qu’une saturation soit atteinte (8,9). Sur la base de l’analyse des premiers résultats, des propositions d’adaptation du travail peuvent être formulées, discutées, modifiées, implémentées, avant de procéder à une nouvelle vérification. La conception et le déroulement des études qualitatives ont donc un caractère apparemment plus libre et adaptatif. Ne nous y trompons cependant pas, ces études sont exigeantes et difficiles, mais elles sont utiles, voire indispensables (7). Comme n’importe quel outil scientifique, les études qualitatives doivent également être soumises à une évaluation critique sur le plan de la validité et de la fiabilité (10,11). Ces notions de validité et fiabilité sont largement explicitées dans l’article de méthodologie de ce mois (voir p. 24).

Il a fallu innover pour parvenir à rendre les résultats d’une étude qualitative compatibles avec le format de Minerva. Avec quelques chiffres importants, par exemple, il est possible de résumer de manière concise une étude clinique randomisée. Mais comment convertir la richesse des citations, des extrapolations et des interprétations d’une étude qualitative sans verser dans la banalité ? Nous avons essayé de présenter une analyse des résultats d’une étude qualitative sur l’usage des guides de bonne pratique chez les médecins généralistes (voir p. 14). Ne manquez pas de poursuivre votre lecture…

 

 

Références

  1. Vermeire E. L'Evidence Based Medicine apporte-t-elle également une réponse aux questions complexes? MinervaF 2005;4(2):18.
  2. Chevalier P, Soenen K, Sturtewagen J-P, Vanhalewyn M. Soins de fin de vie : besoin de preuves aussi ? MinervaF 2008;7(10):145.
  3. Chevalier P. Application des RBP : meilleurs résultats en termes de santé ? MinervaF 2010;9(4):41.
  4. Swennen MH, Rutten FH, Kalkman CJ, et al. Do general practitioners follow treatment recommendations from guidelines in their decisions on heart failure management? A cross-sectional study. BMJ Open 2013;3(9):e002982.
  5. Brusamento S, Legido-Quigley H, Panteli D, et al. Assessing the effectiveness of strategies to implement clinical guidelines for the management of chronic diseases at primary care level in EU Member States: a systematic review. Health Policy 2012;107:168-83.
  6. Anthierens S, Poelman T. Dans quelle mesure les guides de bonne pratique aident-ils le médecin généraliste dans sa pratique médicale ? MinervaF 2015;14(2):22-3.
  7. Philipsen H, Vernooy-Dassen M. Kwalitatief onderzoek: nuttig, onmisbaar en uitdagend. Huisarts Wet 2004;47:454-7.
  8. Hak T. Waarnemingsmethoden in kwalitatief onderzoek. Huisarts Wet 2004;47:502-8.
  9. Wester F. Analyse van kwalitatief onderzoeksmateriaal. Huisarts Wet 2004;47:565-70.
  10. van Zwieten M, Willems D. Waardering van kwalitatief onderzoek. Huisarts Wet 2004;47:631-5.
  11. Poelman T. À quels critères une étude qualitative doit-elle répondre ? MinervaF 2015;14(2):24.

 


Auteurs

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

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