Revue d'Evidence-Based Medicine



Céphalées de tension : traitement prophylactique utile ?



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 10 Page 123 - 124

Professions de santé


Analyse de
Verhagen AP, Damen L, Berger MY, et al. Lack of benefit for prophylactic drugs of tension-type headache in adults: a systematic review. Fam Pract 2010;27:151-65.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité des traitements médicamenteux préventifs pour les céphalées de tension chroniques chez l’adulte ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique qui n’apporte aucun résultat chiffré et qui est basée sur l’opinion d’experts, n’apporte pas de preuve de l’intérêt d’un traitement médicamenteux préventif des céphalées de tension chroniques chez l’adulte.


 

Contexte

Les céphalées de tension représentent le type de céphalées le plus fréquent. Elles sont qualifiées de chroniques lorsqu’elles se manifestent plus de 15 jours par mois depuis plus de 3 mois (1). Lorsqu’un traitement préventif est envisagé, les antidépresseurs tricycliques (en particulier l’amitriptyline (25-150 mg / jour)) sont recommandés comme premier choix (1). Les données sont contradictoires ou très limitées quant à l’efficacité d’autres médicaments. Une synthèse méthodique de l’ensemble de ces médicaments dans l’indication céphalées de tension n’avait pas encore été faite.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique

 

Sources consultées

  • MEDLINE, Pubmed, CINAHL, Cochrane, EMBASE (jusqu’en août 2009), Cochrane Controlled Trials Register, Cochrane Library
  • liste de références des études incluses ou non.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : RCTs évaluant des traitements préventifs administrés par voie orale des céphalées de tension chroniques (CTC) versus placebo, d’autres médicaments ou traitement non médicamenteux chez des adultes (≥18 ans) souffrant de CTC, avec au moins un des critères de jugement suivants : mesure de la douleur (intensité, fréquence, durée, amélioration ou index), usage d’antalgiques, dépression ou effets indésirables ; critères d’éligibilité permettant la distinction entre CTC et migraine 
  • inclusion de 44 études (3 399 patients) sur 2 439 publications potentielles ; 15 (34,1%) considérées à faible risque de biais ; 13 études en permutation
  • de 16 à 375 patients par étude (moyenne de 77,3) ; 3 études seulement incluent >50 patients par bras d’étude
  • principaux types de médicaments étudiés : antidépresseurs (tricycliques, inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et autres), myorelaxants (tizanidine), benzodiazépines, propranolol, clonidine, nifédipine 
  • pas de restriction de langues.

 

Population étudiée

  • patients âgés de 18 ans (même 15 et 16 ans pour 2 études) à 87 ans
  • 45,5 à 100% de femmes en moyenne par étude.

 

Mesure des résultats

  • mesure de la douleur (via journalier et échelle de Likert) : intensité, fréquence, durée, index ou amélioration ; à noter : absence de critères de jugement identiques entre les études ; toutes rapportent l’une des mesures de la douleur, 21 l’usage d’antalgiques, 21 la dépression et 29 les effets indésirables
  • analyse de sensibilité pour les études avec puissance suffisante (≥25 patients par bras d’étude) avec critères IHS ou Ad Hoc pour la sélection des patients et à faible risque de biais.

 

Résultats

  • sorties d’étude : moyenne de 18,1% (0-52%)
  • durée moyenne totale de l’étude de 12,8 (ET ±7,2) semaines dont 2,3 (±1,2) semaines d’inclusion, 8,2 (±4,7) de traitement et 1,9 (±4,4) de suivi
  • mesure de la douleur :
    • antidépresseurs (N=18) : pas plus efficaces que le placebo, sans différence significative entre les différents types d’antidépresseurs ; absence de différences versus autres médications, et pour l’amitriptyline versus manipulation vertébrale
    • benzodiazépines (N=3) et vasodilatateurs (N=4) : preuves contradictoires concernant l’efficacité versus placebo
    • propranolol : efficace versus placebo ou biofeedback ; effets négatifs sur la dépression chez les patients avec CTC (preuves limitées ; 1 étude à risque de biais élevé)
    • myorelaxants (N=3) : absence de preuve d’efficacité.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les antidépresseurs ne sont pas plus efficaces qu’un placebo sur l’intensité et la fréquence des céphalées ni sur l’usage d’antalgiques. Le propranolol semble avoir des effets négatifs sur la dépression chez les patients avec CTC comparé à un placebo ou au biofeedback. Il n’existe pas de preuves pour l’usage de myorelaxants seuls.

 

Financement

Netherlands Organization for Health Research and Development (ZONMw).

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La stratégie de recherche dans la littérature (2), utilisant plusieurs bases de données indexées, sans restriction de langues et avec critères d’inclusion bien établis est correcte. Deux examinateurs indépendants évaluent et sélectionnent les études (avec recours à un 3ème auteur en cas de divergences) selon une méthodologie Delphi (3) donc non validée ; ils ajoutent un 10ème item (sorties d’étude) à cette liste de critères méthodologiques Delphi qui en comporte 9 (dont randomisation, double aveugle, groupes comparables au départ, spécificité des critères d’éligibilité, analyse en ITT,…). La valeur kappa de 0,83 montre une excellente correspondance (variation) inter-observateurs ; 15 études (34%) seulement sont considérées par les auteurs à risque faible de biais. Les faiblesses méthodologiques les plus fréquentes sont constatées au niveau de la randomisation, du double aveugle et de l’analyse en intention de traiter (absente dans 66% et non claire dans 25% ; surestimation des résultats possible). Par ailleurs, seules 3 études incluent >50 patients par bras d’étude, 25 incluent <25 patients par bras dont 3 <10 patients par bras. La plupart des études n’ont donc pas une puissance suffisante pour mettre en évidence des différences statistiquement significatives.

L’effet thérapeutique d’un traitement prophylactique ne peut être correctement évalué qu’après trois mois (4) ; la durée moyenne totale de l’étude de 13 (avec des extrêmes de 2 à 42) semaines semble donc un peu courte ; il est à noter également que 66% des études n’incluent pas de période de suivi, rendant tout risque de dépendance impossible à évaluer.

Au vu de l’hétérogénéité clinique importante parmi les études (population, diagnostic, interventions (médicaments évalués (y compris parmi les antidépresseurs (amitriptyline et citalopram)), dosage et fréquence des prises), critères de jugements), les auteurs réalisent une synthèse (en fonction du type de médicament) sans méta-analyse, pratiquent différentes analyses (système de gradation, analyse de sensibilité) sans parvenir à faire une synthèse valide. Malgré l’intention affichée par les auteurs, aucun résultat chiffré n’est donné dans cette synthèse méthodique sans méta-analyse.

 

Interprétation des résultats

Dans cette étude de Verhagen, des critères diagnostiques prédéfinis spécifiques ne sont pas requis, le diagnostic étant basé sur au moins quelques signes distinctifs de CTC (bilatéralité, absence de nausées et vomissements, intensité légère à modérée, sans exacerbation par l’exercice) ; le diagnostic de CTC repose sur différentes définitions (IHS, Ad Hoc Committee ou autres).

L’absence de validation des échelles d’évaluation est à souligner, l’amélioration clinique étant définie dans plusieurs études par une diminution de 50% des céphalées.

Les études sont réalisées en majorité en 2ème ligne de soins ce qui limite l’extrapolation en médecine générale. La majorité des médicaments ne sont évalués que dans 1 ou 2 étude(s), ce qui peut limiter la généralisation.

De nouvelles études conduites avec rigueur sont nécessaires concernant la prophylaxie des CTC, évaluant les traitements les plus prometteurs et un traitement médicamenteux versus options non pharmacologiques fréquemment utilisées (biofeedback, gestion du stress, manipulation vertébrale, traitement comportemental cognitif).

 

Mise en perspective des résultats

Une autre synthèse de la littérature récente réalisée par Jackson (5) que nous avons analysée dans Minerva (6) analysait l’efficacité des antidépresseurs tricycliques dans les céphalées chroniques, migraines et céphalées de tension, avec analyses séparées pour ces 2 indications. Pour les céphalées de tension, Jackson n’inclut que 8 études de tricycliques versus placebo versus les 18 études d’antidépresseurs divers de Verhagen… qui ne parvient pas à présenter une méta-analyse. En standardisant les données, Jackson a, par contre, réalisé les méta-analyses nécessaires. Il concluait, conclusion suivie par Minerva, à une efficacité des antidépresseurs tricycliques en prévention des céphalées de tension, efficacité semblant augmenter avec le temps, ainsi qu’à une efficacité supérieure des tricycliques versus ISRS, au prix d’effets indésirables plus importants. La tizanidine semble être supérieure au placebo en termes de réduction de céphalées chez les patients souffrant de CTC (1) mais cette synthèse méthodique de Verhagen met cette conclusion en doute.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique qui n’apporte aucun résultat chiffré et qui est basée sur l’opinion d’experts, n’apporte pas de preuve de l’intérêt d’un traitement médicamenteux préventif des céphalées de tension chroniques chez l’adulte.

 

Pour la pratique

Pour les céphalées de tension chroniques (CTC) (critères IHS), le guide de pratique SIGN recommande les antidépresseurs tricycliques (en particulier l’amitriptyline (25 à 150 mg / jour (Niveau de Recommandation A)) en traitement prophylactique de 1er choix (1). Ils sont plus efficaces que les ISRS en termes de réduction des céphalées chroniques (prise d’antalgiques significativement moindre, réduction de la durée, de la fréquence et de la sévérité) (1). La récente méta-analyse de Jackson (5) conclut également à une efficacité des antidépresseurs tricycliques en prévention des céphalées de tension, efficacité semblant augmenter avec le temps, ainsi qu’à une efficacité supérieure des tricycliques versus ISRS, au prix d’effets indésirables plus importants. Les preuves manquent concernant les antiépileptiques (valproate, topiramate ou gabapentine). Cette synthèse méthodique, sans méta-analyse, ne remet pas ces recommandations en cause.

 

 

Références

  1. SIGN. Diagnosis and management of headache in adults. A national clinical guideline, November 2008.
  2. Robinson KA, Dickersin K. Development of a highly sensitive search strategy for the retrieval of reports of controlled trials using PubMed. Int J Epidemiol 2002;31:150–3.
  3. Verhagen AP, de Vet HC, de Bie RA, et al. The Delphi list: a criteria list for quality assessment of randomised clinical trials for conducting systematic reviews developed by Delphi consensus. J Clin Epidemiol 1998;51:1235-41.
  4. Consensus INAMI. L’usage efficient des médicaments dans le traitement de la migraine. 26 novembre 2009.
  5. Jackson JL, Shimeall W, Sessums L, et al. Tricyclic antidepressants and headaches: systematic review and meta-analysis. BMJ 2010;341:c5222.
  6. Chevalier P, Vanwelde A. Antidépresseurs et céphalées chroniques. MinervaF 2011;10(8):93-4.
Céphalées de tension : traitement prophylactique utile ?



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