Revue d'Evidence-Based Medicine



Dépression en première ligne chez la personne âgée : thérapie comportementale cognitive individuelle ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 7 Page 86 - 87

Professions de santé


Analyse de
Serfaty MA, Haworth D, Blanchard M, et al. Clinical effectiveness of individual cognitive behavioral therapy for depressed older people in primary care. Arch Gen Psychiatry 2009;66:1332-40.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’une thérapie comportementale cognitive individuelle versus soins courants ou “simple conversation” chez des personnes âgées dépressives, en première ligne de soins ?


Conclusion
Cette étude montre, sur une échelle peu adéquate, qu’une thérapie comportementale cognitive (TCC) chez des personnes âgées dépressives en première ligne de soins est plus efficace qu’une simple conversation, sans preuve cependant d’une supériorité cliniquement pertinente versus soins habituels. L’efficacité d’une TCC chez des personnes âgées dépressives reste à montrer.


 

Contexte

Environ une personne âgée sur 3 avec un diagnostic de dépression présenterait ce trouble dépressif pendant plus d’un an (1). Les comorbidités et la polymédication peuvent rendre un traitement antidépressif médicamenteux plus difficile. Chez ces personnes âgées, une dépression est souvent liée à un processus de deuil ou à un isolement social, ce qui devrait inciter à choisir en premier lieu une approche psychologique dans ces cas. De précédentes études évaluant l’intérêt d’une thérapie comportementale cognitive (TCC) ou non médicamenteuse de la dépression chez les personnes âgées ont présenté d’importantes limites méthodologiques. Trois études seulement ont été effectuées en première ligne de soins.

 

Résumé

Population étudiée

  • 204 sujets âgés d’au moins 65 ans, présentant une dépression, recrutés (à leur initiative ou sur référence du médecin ou sur données du dossier médical) dans 47 pratiques de médecine générale au nord de Londres ; âge moyen de 74,1 (ET 7,0) ans ; 79,4% de femmes, 88% de dépression majeure
  • critères d’inclusion : diagnostic de dépression au score GMS-AGECAT ; score ≥14 sur l’échelle de Beck Depression Inventory-II ; connaissance suffisante de l’anglais pour la TCC ; en cas de traitement par antidépresseur, dose stable depuis au moins 8 semaines avant la randomisation
  • critères d’exclusion : pensées suicidaires importantes nécessitant une institutionnalisation, antécédent d’alcoolisme ou d’addiction, de trouble bipolaire ; présence d’hallucinations ou de délire, MMSE <24, TCC dans l’année précédente, électro-convulsivothérapie dans les 6 mois précédents.

Protocole d’étude

  • étude contrôlée, randomisée
  • soins courants par le médecin traitant pour tous les patients, avec thérapie médicamenteuse éventuelle
  • premier bras : soins courants + “simple conversation” (n = 67) : écoute empathique et incitation à parler de sujets neutres tels que les hobbies
  • deuxième bras (n = 70) : soins courants + TCC
  • troisième bras (n = 67) : soins courants seuls
  • “simple conversation” et TCC effectuées par des thérapeutes comportementalistes durant 12 séances de 20 minutes chacune, étalées sur une période de 4 mois.

Mesure des résultats

  • critère primaire : évolution de la dépression au Beck Depression Inventory (BDI)-II score, valeur initiale versus fin de traitement (4 mois) et après 10 mois
  • critères secondaires : anxiété mesurée au Beck Anxiety Inventory ; fonctionnement social évalué par le Social Functioning Questionnaire ; qualité de vie relative à la santé (Euroqol) ;  satisfaction du patient sur une échelle à 3 points, observance thérapeutique sur le nombre de séances suivies
  • analyse en intention de traiter et imputation multiple des données manquantes ; analyse par protocole.

Résultats

  • suivi de 80%
  • critère primaire : BDI-II score (échelle de 0 à 63) mieux amélioré sous TCC versus soins courants (- 3,07 ; IC à 95% de -5,73 à -0,42) et sous TCC versus “simple conversation” (-3,65 ; IC à 95% de -6,18 à -1,12) après 4 mois ; pas de modification des différences après 10 mois
  • Beck Anxiety Inventory, Social Functioning Questionnaire, Euroqol : pas de différence entre les groupes
  • satisfaction du patient pour le traitement et le thérapeute : pas de différence entre TCC et “simple conversation”
  • nombre de sessions suivies (TCC et conversation simple) : pas de différence, moyenne de 7 (ET 4).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une thérapie comportementale cognitive est un traitement efficace pour les patients âgés dépressifs avec supériorité par rapport à une simple conversation avec le patient.

Financement

Bourses de la Health Foundation et du North Central Thames Research Network.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est mentionné.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs ont tenté d’éviter les biais de différentes façons. La préférence des patients pour un traitement a été évaluée sur une échelle de Likert avant le début de l’intervention. Aucune différence n’est observée entre les 3 bras d’étude. De même les différences dans les attentes des thérapeutes ont été évaluées initialement sur une échelle de Likert (de -3 aggravation à +3 amélioration) sans différences pour celles-ci entre le groupe TCC et le groupe « simple conversation ». Les évaluateurs ont, par contre, plutôt mieux que mal jugé à quel groupe de traitement les patients appartenaient, ce qui peut suggérer un insu insuffisant pour l’évaluation. L’existence d’un groupe « simple conversation » permet d’estimer l’influence de l’empathie et de l’attention au patient sur les résultats. L’efficacité de l’intervention est jaugée au score BDI-II. Nous nous interrogeons sur la sensibilité de cette échelle concernant la dépression de la personne âgée. Elle inclut, en effet, plusieurs items de plaintes physiques telles que la fatigue, souvent influençable par la comorbidité chez les personnes âgées. En outre, il s’agit d’une autoévaluation avec risque de minimisation ou d’exagération. Le diagnostic de dépression n’est pas documenté suivant les critères du DSM IV. La proportion de sorties d’étude est faible sans différence entre les groupes. Les données manquantes sont correctement imputées.

Interprétation des résultats

La diminution observée sur le BDI-II score dans le groupe TCC est statistiquement significativement plus importante que dans les groupes soins courants et « simple conversation » notamment de -3,07 (IC à 95% de -5,73 à -0,42) pour le groupe TCC versus soins courants. Les auteurs avaient cependant fixé un seuil de différence à 3,5 points pour la pertinence clinique, différence donc non atteinte entre les groupes TCC et soins courants. Il est possible que le bénéfice de la TCC soit sous-estimé : un certain nombre d’items du BDI-II score, tels que la qualité de la vie sexuelle et le niveau d’énergie, sont moins variables chez les personnes plus âgées. Le gain observé dans le groupe TCC se maintient après l’arrêt de l’intervention. Le recours à des antidépresseurs ne modifie pas les différences observées. L’absence d’un groupe avec un traitement uniquement médicamenteux ne permet pas d’estimer la plus-value d’une TCC versus médicament. La TCC n’est pas efficace sur les symptômes anxieux ni le fonctionnement social dans cette étude, peut-être parce que l’anxiété chez les personnes âgées est souvent associée avec des problèmes physiques et une perte de fonctions sociales.

Autres études

Cette étude est, à l’heure actuelle, la plus importante pour l’évaluation de l’efficacité de la TCC chez les personnes âgées dépressives en première ligne de soins. Une récente synthèse méthodique (2) a montré l’utilité d’une TCC chez les personnes âgées. De nombreuses études incluses montraient cependant des limites méthodologiques importantes : population faible, pas de groupe contrôle adapté, taux important de sorties d’étude. Seules 3 RCTs étaient effectuées en première ligne. Dans l’étude de Wilson (3), 50% des sujets quittent l’étude (pour 20% dans l’étude ici analysée), ce qui complique l’interprétation des résultats. L’étude de Floyd (4) n’inclut que 30 participants. L’étude de Laidlaw (5) montre une plus grande efficacité d’une TCC versus soins courants mais elle n’inclut que des patients présentant une dépression majeure. En incluant aussi des patients à leur initiative propre, les auteurs de la présente étude espéraient recruter des sujets avec une dépression mineure, augmentant ainsi selon eux la validité externe de la recherche.

Pour la pratique

Les résultats de cette étude réfutent que “le fait de porter attention à l’isolement social et émotionnel” des personnes âgées lors d’une “simple conversation” soit aussi efficace qu’une thérapie comportementale cognitive (TCC). Le nombre optimal de sessions de TCC ou de leur durée reste à préciser. En outre, cette étude illustre que la plupart des personnes âgées considèrent une TCC comme utile et acceptable. Elle montre aussi la possibilité de conduire une TCC au domicile de personnes âgées à mobilité réduite, mais la faisabilité d’un tel choix dans notre système de soins reste en question.

 

Conclusion

Cette étude montre, sur une échelle peu adéquate, qu’une thérapie comportementale cognitive (TCC) chez des personnes âgées dépressives en première ligne de soins est plus efficace qu’une simple conversation, sans preuve cependant d’une supériorité cliniquement pertinente versus soins habituels. L’efficacité d’une TCC chez des personnes âgées dépressives reste à montrer. 

 

Références

  1. Licht-Strunk E, van der Windt DA, van Marwijk HW, et al. The prognosis of depression in older patients in general practice and the community. A systematic review. Fam Pract 2007;24:168-80.
  2. Wilson KC, Mottram PG, Vassilas CA. Psychotherapeutic treatments for older depressed people. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 1.
  3. Wilson KC, Scott M, Abou-Saleh M, et al. Long term effects of cognitive behavioural therapy and lithium therapy on depression in the elderly. Br J Psychiatry 1995;167:653-8.
  4. Floyd M, Scogin F, McKendree-Smith NL, et al. Cognitive therapy for depression: a comparison of individual psychotherapy and bibliotherapy for depressed older adults. Behav Modif 2004;28:297-318.
  5. Laidlaw K, Davidson K, Toner H, et al. A randomised controlled trial of cognitive behaviour therapy vs treatment as usual in the treatment of mild to moderate late life depression. Int J Geriatr Psychiatry 2008;23:843-50.
Dépression en première ligne chez la personne âgée : thérapie comportementale cognitive individuelle ?

Auteurs

Declercq T.
huisarts ; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires