Revue d'Evidence-Based Medicine



Prednisolone et/ou aciclovir pour la paralysie de Bell ?



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 9 Page 142 - 143

Professions de santé


Analyse de
Sullivan FM, Swan IR, Donnan PT, et al. Early treatment with prednisolone or acyclovir in Bell's palsy. N Engl J Med 2007;357:1598-607.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de l’administration précoce de prednisolone et/ou d’aciclovir versus placebo dans une paralysie de Bell en termes de guérison ?


Conclusion
Cette étude randomisée, en double aveugle et versus placebo montre une guérison plus fréquente d’une paralysie de Bell après administration de prednisolone 2 x 25 mg par jour pendant 10 jours en cas d’initiation du traitement dans les 72 heures de début des symptômes. Aucun bénéfice n’est observé pour l’administration de l’aciclovir administré seul ou en ajout à la prednisolone.


 

Résumé

Contexte

La paralysie de Bell est une paralysie idiopathique unilatérale aiguë périphérique du nerf facial. Par définition, la cause n’en est pas connue. Des analyses sérologiques ou par PCR (sur prélèvement au niveau du nerf) suggèrent une inflammation liée à une réactivation d’une infection par un virus de l’herpès simplex de type 1. L’œdème du nerf facial, logé dans un canal osseux sans expansion possible, en serait l’explication. Sur base de ce raisonnement physiopathologique, aciclovir et prednisolone sont souvent administrés. Deux synthèses méthodiques de la Cochrane Collaboration (1,2) concluent cependant à l’absence de preuve d’efficacité de ces deux médicaments dans le traitement de la paralysie de Bell.

Population étudiée

  • personnes âgées  ≥ 16 ans présentant une paralysie faciale unilatérale de cause non connue et référées par leur médecin traitant (> 75%) ou par un service d’urgence dans un des 17 hôpitaux écossais participants
  • exclusion : grossesse, allaitement, diabète sucré non contrôlé (HbA1c > 8%), ulcère gastrique, otite moyenne, herpès zoster, sclérose multiple, infection systémique, sarcoïdose, autres affections rares
  • 752 patients référés dont 551 randomisés ; autant d’hommes que de femmes ; âge moyen de 44 (ET 16,4) ans ; score moyen de 3,6 (ET 1,3) sur l’échelle de House-Brackmann.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée versus placebo, en double aveugle, au protocole factoriel
  • 4 bras d’étude : prednisolone + placebo, aciclovir + placebo, prednisolone + aciclovir, double placebo
  • doses utilisées : prednisolone 25 mg x 2 par jour, aciclovir 400 mg x 5 par jour pendant 10 jours
  • première dose administrée, dans les 72 heures de début des plaintes, à l’hôpital
  • puis traitement en ambulatoire
  • suivi par un évaluateur externe après 3-5 jours, après 3 mois et après 9 mois si guérison non complète à 3 mois.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : guérison complète (score 1 sur l’échelle de House-Brackmann) à 3 et 9 mois
  • critères secondaires : qualité de vie, sensation de bien-être, douleur
  • analyse en intention de traiter.

Résultats

  • sorties d’étude : 10%
  • critère primaire de guérison complète :
  • prednisolone versus pas de prednisolone et aciclovir versus pas d’aciclovir : voir tableau
  • double placebo : 64,7% après 3 mois et 85,2% après 9 mois
  • prednisolone et aciclovir : 79,7% après 3 mois et 92,7% après 9 mois
  • critères secondaires : pas de différences significatives
  • effets indésirables : pas d’effet indésirable majeur ; pas de différence significative pour le nombre d’effets indésirables mineurs.

 

Tableau : Pourcentage de personnes avec guérison complète à 3 et 9 mois, prednisolone versus pas et aciclovir versus pas ; RAR et NST.

Suivi

Guérison complète

RAR (avec IC à 95%);

valeur p

NST

(IC à 95%)

Prednisolone

Pas de prednisolone

Trois mois

83%

63,6%

19,4 (de 11,7 à 27,1); p<0,001

6 (4-9)

Neuf mois

94,4%

81,6%

12,8 (de 7,2 à 18,4); p<0,001

8 (6-14)

 

Aciclovir

Pas d’aciclovir

   

Trois mois

71,2%

75,7%

-4,5 (de -12,4 à 3,3); p=0,50

 

Neuf mois

85,4%

90,8%

-5,4 (de -11,0 à 0,3); p=0,10

 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un traitement précoce d’une paralysie faciale avec de la prednisolone améliore significativement les chances de guérison complète à 3 et 6 mois. Il n’y a pas de preuve d’un bénéfice de l’aciclovir administré seul ou d’un bénéfice accru lors de l’ajout de l’aciclovir.

Financement

Health Technology Assessment Programme of the National Institute for Health Research.

Conflits d’intérêt

Deux auteurs ont reçu des fonds de la firme GlaxoSmithKline sans lien avec la présente recherche.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude possède un bon protocole, avec respect de l’aveugle pour les patients, pour les médecins traitants et pour les évaluateurs. Le secret de l’attribution est décrit en détail et bien respecté. Les auteurs ont recours, à juste titre, à l’échelle de House-Brackmann (3) pour évaluer le critère primaire. L’évaluation est soucieuse d’objectivité, réalisée par un groupe de 3 experts (ORL, neurologue, chirurgien plastique) qui analysent des photos numérisées des patients. Un écart de plus d’un point entre les évaluateurs sur l’échelle de House-Brackmann n’est présent que dans 8% des cas. L’observance est satisfaisante : pour 86% des patients rapportant les conditionnements des médicaments, ceux-ci avaient été utilisés dans 90% des cas. Le taux de sorties d’étude est limité à 10%. 

Interprétation des résultats

Un bénéfice significatif en termes de guérison n’est observé que pour l’administration de prednisolone dans les 3 jours du début des symptômes. Cet effet favorable ne se traduit étonnamment pas au niveau des critères secondaires. Au contraire, après 9 mois, le score de qualité de vie est diminué pour les sujets ayant pris de la prednisolone ou de l’aciclovir versus placebo. Cette contradiction pourrait s’expliquer par le fait que cette évaluation après 9 mois ne concerne que les patients non guéris à 3 mois. Un traitement par aciclovir ne montre pas de bénéfice sur la récupération fonctionnelle du nerf facial. Le protocole ne prévoyait pas la constitution de sous-groupes. Il n’est donc pas possible d’analyser si certains de ces sous-groupes peuvent bénéficier d’un tel traitement, par exemple ceux présentant une forme sévère de paralysie ou ceux atteints d’un zoster sine herpete. Certains auteurs mentionnent que ce zoster sine herpete serait présent dans 30% des cas de paralysie faciale (4).

Autres études

Cette étude de Sullivan et coll. est la première recherche de méthodologie correcte incluant un nombre suffisant de patients (n=551) pour cette pathologie. L’absence d’efficacité significative des corticostéroïdes constatée dans une méta-analyse de 4 précédentes études (n=181) est peut-être liée, entre autres, à une puissance insuffisante. A l’encontre de l’étude de Sullivan, une étude japonaise récente (5) incluant 296 patients montre une efficacité significative du valaciclovir (prodrogue de l’aciclovir, disposant d’une biodisponibilité 3 à 5 fois supérieure à celle de l’aciclovir) en ajout à la prednisolone : RAR 6,8% (IC à 95% de 0,1 à 13,4) versus prednisolone seule. Des biais sont cependant possibles : les médecins traitants comme les évaluateurs connaissaient le traitement réellement administré et les résultats des 25% des patients qui présentaient un zoster sine herpete ne sont pas repris dans l’analyse. Cette étude est réalisée dans un hôpital tertiaire et concerne des patients présentant des formes sévères de paralysie faciale (score House-Brackmann de 4 à 5). Ces éléments pourraient expliquer des résultats différents de ceux observés dans l’étude de Sullivan et coll.

 

Pour la pratique

Des études d’observation montrent une incidence de paralysie de Bell de 30 pour 100 000 années-patients. Une guérison complète est observée dans 71% des cas, 61% en cas de paralysie complète, 94% en cas de paralysie partielle ; 4% des sujets peuvent en garder des séquelles sévères (6). Dans l’étude de Sullivan, la plupart des patients, qui sont en majorité référés par un médecin généraliste, guérissent sans séquelle (sous placebo, 85% après 9 mois). Selon cette étude, 8 patients devraient être traités par prednisolone pour permettre une guérison supplémentaire à 9 mois. Ce traitement (court) par prednisolone est bien toléré et son coût est faible. Un diagnostic précoce de paralysie est nécessaire, l’utilité de l’instauration d’un traitement par prednisolone plus de 72 heures après le début des symptômes n’étant pas prouvée. Il est souvent difficile d’exclure toutes les causes possibles de paralysie faciale dans ce court délai.

 

Conclusion

Cette étude randomisée, en double aveugle et versus placebo montre une guérison plus fréquente d’une paralysie de Bell après administration de prednisolone 2 x 25 mg par jour pendant 10 jours en cas d’initiation du traitement dans les 72 heures de début des symptômes. Aucun bénéfice n’est observé pour l’administration de l’aciclovir administré seul ou en ajout à la prednisolone.

 

Références

  1. Salinas RA, Alvarez G, Ferreira J. Corticosteroids for Bell’s palsy (idiopathic facial paralysis). Cochrane Database Syst Rev 2004, Issue 4.
  2. Allan D, Dunn L. Aciclovir or valaciclovir for Bell’s palsy (idiopathic facial paralysis). Cochrane Database Syst Rev 2004, Issue 1.
  3. House JW, Brackmann DE. Facial nerve grading system. Otolaryngol Head Neck Surg 1985;93:146-7.
  4. Furuta Y, Ohtani F, Kawabata H, et al. High prevalence of varicella-zoster virus reactivation in herpes simplex virus-seronegative patients with peripheral facial palsy. Clin Infect Dis 2000;30:529-33.
  5. Hato N, Yamada H, Kohno H, et al. Valacyclovir and prednisolone treatment for Bell's palsy: a multicenter, randomized, placebo-controlled study. Otol Neurotol 2007;28:408-13.
  6. Peitersen E. Bell's palsy: the spontaneous course of 2,500 peripheral facial nerve palsies of different etiologies. Acta Otolaryngol Suppl 2002;549:4-30.
Prednisolone et/ou aciclovir pour la paralysie de Bell ?



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