Revue d'Evidence-Based Medicine



La nitroglycérine pour prédire l'angor?



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 3 Page 41 - 43

Professions de santé


Analyse de
Henrikson CA, Howell EE, Bush DE et al. Chest pain relief by nitroglycerin does not predict active coronary artery disease. Ann Intern Med 2003;139:979-86.


Question clinique
Quelle est la valeur diagnostique et pronostique de la réduction de la douleur précordiale après l’administration sublinguale de nitroglycérine?


Conclusion
Cette étude montre de nombreuses limites, mais nous apprend quand même que la valeur diagnostique et pronostique de l’administration de nitrés (et son effet sur la douleur) chez un patient qui présente une douleur précordiale est insuffisante. Dans l’attente d’un test diagnostique meilleur pour des patients présentant une douleur précordiale en première ligne, nous abondons dans le sens de la recommandation du NHG qui stipule que le médecin généraliste doit référer, le jour même, pour une mise au point cardiologique, un patient chez lequel il suspecte un syndrome coronarien aigu, même si les plaintes diminuent avec (le repos et/ou) les nitrés.


 

Résumé

Contexte

L’administration sublinguale de nitroglycérine en cas de douleur aiguë dans la poitrine est d’un usage courant et même un critère diagnostique. Néanmoins cette procédure repose sur des preuves insuffisantes.

Population étudiée

Cette étude inclut 459 des 1 098 patients s’adressant au service d’urgences d’un hôpital périphérique de Baltimore (E.U.) pour motif de douleurs précordiales ou pour exclure un infarctus du myocarde. Les 603 patients exclus sont ceux qui ne présentaient plus de douleur thoracique lors de l’examen et ceux qui ne semblaient pas être en état de pouvoir quantifier leur douleur. L’âge moyen des participants est de 59 ans environ, 53-55% sont des femmes, 42-45% fumeurs et 31-41% présentent des antécédents de maladie coronarienne.

Protocole d’étude

Dans cette étude prospective, observationnelle, de cohorte, la réponse des patients à l’administration sublinguale de 0,4 mg de nitroglycérine est comparée au diagnostic final. Les patients sont évalués par téléphone après quatre mois de suivi.

Mesure des résultats

Une “réponse à la nitroglycérine” est définie comme une réduction d’au moins 50% de la douleur cinq minutes après l’administration de nitroglycérine. La douleur est évaluée par le patient lui-même sur une échelle de douleur allant de 1 à 10. Le diagnostic de “syndrome coronarien aigu” est retenu si le taux de troponine-T sanguin est élevé, si une sténose de 70% est présente à la coronarographie, si le test à l’effort est positif sur base de critères cliniques fixés par un cardiologue participant à l’étude.

Résultats

Des 459 patients inclus, 181 (39%) présentent une réponse à la nitroglycérine (voir tableau). Des 389 (85%) patients dont les données sont connues après quatre mois de suivi, 141 (31%) ont présenté un syndrome coronarien aigu. Pour 275 (60%) patients, la douleur n’est pas d’origine cardiaque et pour 43 patients (9%), une étiologie n’a pas été mise en évidence. Dans le groupe présentant un syndrome coronarien aigu, 49 patients (35%) réagissent positivement à la nitroglycérine et dans le groupe sans syndrome coronarien, 113 (41%) patients réagissent également à la nitroglycérine (voir tableau).

 

Tableau: Résultats du test à la nitroglycérine sublinguale et diagnostic de syndrome coronarien aigu.

Diagnostic de syndrome coronarien aigu

 

Positif

Négatif

Total

Résultat du test

 Positif

49 (VP)

113 (FP)

162

 

Négatif

92 (FN)

162 (VN)

254

Total

 

141

275

416

VP: vrai positif; VN: vrai négatif; FN: faux-négatif; FP: faux-positif

 

Sensibilité

Spécificité

Valeur prédictive positive

Valeur prédictive négative

0,35 (35%)

0,59 (59%)

0,30 (30%)

0,63 (63%)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, pour des patients provenant d’une population non sélectionnée et se présentant pour une “douleur précordiale”, la réduction de cette douleur suite à l’administration de nitroglycérine ne prédit pas un syndrome coronarien aigu. A leur avis, cette procédure ne peut être utilisée pour poser un diagnostic.

Financement

National Heart, Lung and Blood Institute (E.U.).

Conflits d’intérêt

Aucun n’est mentionné.

Discussion

Controverse concernant les nitrés dans l’angor

L’effet de l’administration de nitrés pour une “douleur précordiale” reste controversée. La recommandation du NHG “Angor stable” 1 considère la disparition de la douleur grâce au repos et/ou à la prise de nitrés comme un des trois critères diagnostiques dans l’angor à l’effort stable, mais l’American Heart Association et l’American College of Cardiology 2 lui accordent moins d’importance. L’autre recommandation du NHG “Syndrome coronarien aigu” stipule, dans sa note 9, qu’en cas d’angor instable, le soulagement de la douleur par les nitrés plaiderait plutôt contre la présence d’un infarctus aigu du myocarde, mais cette recommandation n’est pas étayée par une référence 3.

Sélection des patients

Le lecteur constate immédiatement que la plupart des patients, voire tous, présentant de l’angor d’effort stable, ne sont pas repris dans cette étude. Les patients doivent encore présenter une douleur thoracique à l’arrivée au service d’urgences. Ceci ne semblait plus être le cas pour plus de la moitié des patients, soit 603 des 1 098 patients (55%) qui ont présenté une douleur précordiale initiale! La majorité de ces patients a donc probablement un angor stable, et voit ses symptômes disparaître grâce à un repos relatif; elle n’entre donc plus en ligne de compte pour l’étude. Une conclusion s’impose d’emblée: cette étude n’est pas pertinente pour le groupe important de patients en première ligne qui présentent un angor à l’effort stable. Ceci n’est pas un grand problème, vu que l’angor à l’effort stable reste en première instance un diagnostic “anamnestique”. Diamond et Forrester ont déjà répertorié en 1979 le risque coronarien en fonction de l’âge, du sexe et de la nature de la douleur, en comparant l’anamnèse avec les résultats de la coronarographie 4. L’anamnèse seule peut donner une très bonne évaluation du risque, de telle sorte qu’un test aux nitrés, comme d’autres moyens diagnostiques tels que l’électrocardiogramme d’effort ou la scintigraphie au thallium, paraissent alors superflus.

Le jugement du généraliste est un bon prédicteur

Une autre limite méthodologique de cette étude est l’absence de tentative de préciser, sur une base clinique et anamnestique, le risque a priori d’ischémie myocardique chez une personne présentant une “douleur précordiale”. Il est, en effet, bien connu que, parmi ces patients, finalement un seul sur cinq présente un syndrome coronarien aigu et c’est la tâche de la première ligne de déceler ces patients le plus efficacement possible 5. Le généraliste y parvient la plupart du temps: la valeur prédictive du jugement du généraliste quant à l’exclusion d’une pathologie cardiaque sévère chez des patients présentant une “douleur précordiale” est de 96%, ce qui est particulièrement élevé 5. Cependant, la chance qu’une maladie sévère tel un infarctus du myocarde ou un angor instable soit décelé, lorsque le généraliste réfère le patient avec cette hypothèse diagnostique, est de 50%. C’est donc essentiellement pour ce groupe que nous cherchons à affiner le diagnostic à l’aide, par exemple, d’un test aux nitrés. Le médecin de première ligne ne dispose que d’arguments anamnestiques (antécédents, présentation clinique et caractéristiques de la douleur) et cliniques (pression artérielle basse, troubles du rythme, auscultation cardiaque) pour atteindre le seuil pour référer. Les marqueurs d’ischémie coronarienne ne se positivent qu’après quelques heures (trois à six) et ne sont donc pas utiles pour la phase aiguë. L’électrocardiogramme peut également être faussement négatif au début. Bien que le généraliste puisse déjà émettre un jugement relativement bon sur base d’un faisceau de données cliniques, un test diagnostique complémentaire sensible serait plus que le bienvenu.

Sous-groupes?

Cette étude ne nous permet malheureusement pas de disposer de données concernant les critères de référence et/ou d’information pour évaluer le risque a priori sur des bases cliniques.Les auteurs auraient pu, par exemple, inclure les données de l’électrocardiogramme à l’admission dans l’arbre décisionnel. En fait, dans cette étude, un protocole diagnostique non pertinent (“un nitré sublingual pour tout le monde et puis on voit”) est testé sur des patients dont nous ne savons pas s’ils ont été vus au préalable, en première ligne, par le médecin traitant. Une étude qui examinerait les critères d’une plus-value éventuelle d’une administration de nitrés pour des groupes de patients spécifiques (par exemple des patients avec une suspicion d’angor instable, avec des antécédents cardiovasculaires ou un mauvais profil de risque cardiovasculaire), est probablement plus pertinente pour la pratique. Il est étonnant de constater, dans cette étude, davantage d’infarctus du myocarde dans le groupe qui n’a pas réagi aux nitrés durant la période d’admission (18% avec un IC à 95% de 14 à 24 versus 11% avec IC à 95% de 7 à 17; p=0,06;NS). Les antécédents cardiaques des non-répondeurs sont significativement plus chargés (p=0,04) et davantage de patients ont recours simultanément à l’oxygène (p=0,07). En général, ces patients montrent une tendance à un profil de risque cardiovasculaire moins bon (hypertension, diabète, hypercholestérolémie, tabagisme, antécédents familiaux et usage prolongé de nitrés). Ces groupes à risque sont cependant trop petits pour réaliser une analyse en sous-groupes.

Il est étonnant qu’un nombre si peu élevé d’anomalies soient mises en évidence dans les électrocardiogrammes pratiqués dans les deux groupes. A l’admission des patients, seuls 4% de ceux qui réagissent à la nitroglycérine et 6% des non-répondeurs (p<0,2) montrent une élévation du segment ST et un nombre égal une sous dénivellation du segment ST! Dans une étude faite dans une pratique de groupe néerlandaise, 29% des patients qui présentaient une douleur précordiale, variant d’une douleur atypique à une suspicion d’infarctus du myocarde,montraient une anomalie à l’électrocardiogramme, ce qui a eu, par la suite, un impact direct sur la prise en charge 6. Il est à noter, enfin, dans cette étude, qu’après quatre mois, aucun des 217 patients présentant une douleur précordiale et un test négatif aux nitrés, n’a présenté de syndrome coronarien aigu. Ceci était cependant bien le cas de douze patients du groupe de 122 patients qui n’ont jamais subi une épreuve d’effort ni de coronarographie, parce qu’il était “évident” sur des bases cliniques qu’ils ne présentaient pas de syndrome coronarien aigu.

Expertise médicale

Beaucoup de remarques sont à faire sur cette étude, mais si l’on s’arrête aux caractéristiques diagnostiques du “test nitroglycérine”, certaines conclusions peuvent néanmoins être tirées pour la pratique. La sensibilité est de 0,35 (49/141) et la spécificité de 0,59 (162/275). Le rapport de vraisemblance d'un test positif est de 4,5; en d’autres mots, lorsqu’un patient réagit positivement à un “test à la nitroglycérine”, le risque qu’il souffre d’un syndrome coronarien s’accroît d’un facteur 4,5. Le rapport de vraisemblance d’un test négatif est de 0,9 (la force excluante est de 1,1), ce qui signifie qu’un tel résultat n’apporte aucun argument de réassurance (le risque d’absence d’un problème coronarien reste identique). Les caractéristiques de ce test sont donc absolument insuffisantes pour son utilisation dans le diagnostic d’un syndrome coronarien aigu chez un patient qui se présente aux urgences avec une douleur précordiale. Pire encore, le test rend la situation plus confuse.

Recommandations pour la pratique

Cette étude montre de nombreuses limites, mais nous apprend quand même que la valeur diagnostique et pronostique de l’administration de nitrés (et son effet sur la douleur) chez un patient qui présente une douleur précordiale est insuffisante. Dans l’attente d’un test diagnostique meilleur pour des patients présentant une douleur précordiale en première ligne, nous abondons dans le sens de la recommandation du NHG qui stipule que le médecin généraliste doit référer, le jour même, pour une mise au point cardiologique, un patient chez lequel il suspecte un syndrome coronarien aigu, même si les plaintes diminuent avec (le repos et/ou) les nitrés.

La rédaction

 

Références

  1. Rutten FH, Bohnen AM, Schreuder BP et al. NHG-Standaard Stabiele angina pectoris (tweede herziening). Huisarts Wet 2004;47:83-95.
  2. Task Force on Practice Guidelines (Committee on the ACC/AHA guideline update for the management of patients with unstable angina and non-ST-segment elevation myocardial infarction– 2002: summary article: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association. Circulation 2002;106:1893-900.
  3. Rutten FH, Grundmeijer HTML, Grijseels EWM et al. NHG-Standaard Acuut coronair syndroom (Acuut myocardinfarct en instabiele angina pectoris). Huisarts Wet 2003;46:831-43.
  4. Diamond GA, Forrester JS. Analysis of probability as an aid in clinical diagnosis of coronary artery disease. N Engl J Med 1979;300:1350-8.
  5. van der Does E, Lubsen J, Pool J. Acute myocardial infarction: An easy diagnosis in general practice? J R Coll Gen Pract 1980;30:405-9.
  6. Rutten FH, Kessels AGH, Willems FF, Hoes AW. Is electrocardiografie in de huisartspraktijk nuttig? Huisarts Wet 2001;44:477-81.
La nitroglycérine pour prédire l'angor?



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