Revue d'Evidence-Based Medicine



Quels sont les facteurs influençant la qualité de la fin de vie ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 6 Page 73 - 74

Professions de santé


Analyse de
Zhang B, Nilsson ME, Prigerson HG. Factors important to patients’ quality of life at the end of life. Arch Intern Med 2012;172:1133-42.


Question clinique
Quelle est l’association de facteurs ayant le plus d’influence sur la qualité de la fin de vie chez les patients atteints d’un cancer en phase terminale ?


Conclusion
Cette étude de cohorte permet de conclure que la qualité de vie des patients atteints d’un cancer en phase terminale sera améliorée surtout si ces patients peuvent être soignés à domicile sans thérapie invasive, s’il existe une bonne relation de soins avec le médecin traitant, si les patients peuvent mourir à domicile et en cas de rencontre des besoins spirituels du patient.


 

Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone


 

Contexte

Lorsqu’un traitement curatif n’est plus possible chez un patient atteint d’un cancer, l’objectif des soins n’est plus la guérison (CURE) mais l’optimalisation de la qualité de fin de vie (CARE). Une étude transversale a montré l’importance de certains facteurs tant pour les médecins et pour les autres professionnels des soins de santé que pour l’aidant naturel et pour le patient en fin de vie. Il s’agit par exemple du soulagement approprié de la douleur, du contrôle des symptômes, de la préparation à la mort, du sentiment que l’objectif de vie a été atteint, de la participation au choix du traitement et à l’approche globale en matière de soins (1). Il n’y a cependant pas encore eu d’étude évaluant l’association de facteurs ayant le plus d’influence sur la qualité de fin de vie chez les patients atteints d’un cancer en phase terminale.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • patients atteints d’un cancer recrutés dans 5 centres de lutte contre le cancer aux Etats-Unis, entre le 1/9/2002 et le 28/2/2008
  • critères d’inclusion : patients atteints d’un cancer, âgés d’au moins 20 ans, ayant des métastases à distance, résistance de la maladie à une chimiothérapie de première intention, espérance de vie estimée inférieure à 6 mois, soutien d’un aidant naturel, disposant d’une capacité d’endurance suffisante
  • critères d’exclusion : patient ou aidant naturel souffrant d’une dégradation cognitive ou ne sachant parler ni anglais ni espagnol
  • 1 015 patients correspondant aux critères de participation sur la base de leur dossier et après confirmation par leur médecin ; 289 patients ont refusé de participer.

Protocole d’étude

  • étude de cohorte multicentrique, prospective et longitudinale
  • après l’inclusion, des chercheurs formés à cet effet ont demandé aux patients et à leurs aidants naturels leurs caractéristiques sociodémographiques et les ont interrogés sur leur autonomie, les stratégies de coping utilisées, leur croyances religieuses/spirituelles, leurs préférences concernant les soins de fin de vie et si celles-ci avaient été discutées avec le médecin, leur recours à des soins pastoraux et mentaux, la présence d’une dépression, de troubles anxieux, de stress post-traumatique, de trouble panique, la qualité de la relation médecin-malade, le soutien social et la présence de comorbidités, la qualité de vie au moyen du McGill Quality of Life Questionnaire (2) et leur état de santé.
  • après le décès du patient, les médecins et les aidants naturels ont répondu à un questionnaire concernant le lieu du décès, les soins prodigués et la qualité de vie du patient (souffrance psychologique, souffrance physique, qualité de vie globale) au cours de la dernière semaine de vie.

Mesure des résultats

  • critère de jugement : association de facteurs permettant de prédire au mieux la qualité de vie du patient pendant la dernière semaine de vie
  • analyse univariée et multivariée des données obtenues au cours de l’entretien et après le décès.

Résultats

  • récolte de données analysables pour 396 patients décédés au cours de la période d’étude ; âge moyen de 58,7 (ET 12,5) ans ; 97,5% d’hommes ; médiane de survie de 125 jours
  • un ensemble de 9 facteurs a permis de prédire 17,7% de la variance dans la qualité de vie ; facteurs avec effet positif : prière ou méditation religieuse (2,5%), lieu où les soins étaient prodigués (1,8%), soins pastoraux à l’hôpital (1,0%) et une bonne relation de soins avec le médecin (0,7%) ; facteurs avec effet négatif : séjour en unité de soins intensifs au cours de la dernière semaine de vie (4,4%), décès à l’hôpital (2,7%), inquiétudes du patient (2,7%), alimentation par sonde au cours de la dernière semaine de vie (1,1%) et chimiothérapie au cours de la dernière semaine de vie (0,8%).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les patients atteints d’un cancer en phase terminale qui bénéficient de la meilleure qualité de fin de vie sont ceux à qui sont évité hospitalisations et séjours en unité de soins intensifs, qui sont moins inquiets, qui prient ou méditent, qui reçoivent la visite d’un aumônier à l’hôpital et qui ont une bonne relation de soins avec leur médecin.

Financement

National Institute of Mental Health; National Cancer Institute; Center for Psychosocial Epidemiology and Outcomes Research, Dana-Farber Cancer Institute

 

Conflits d’intérêt

aucun conflit d’intérêt n’est rapporté.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Sur le plan méthodologique, cette étude de cohorte est de bonne qualité. Le recrutement et les critères d’inclusion et d’exclusion sont clairement décrits, de même que les motifs les plus fréquents de non-participation. Les chercheurs ont effectué une analyse univariée et multivariée pour extraire les principaux facteurs influençant la qualité de fin de vie. Toutes les étapes pertinentes de cette analyse sont présentées sous forme de tableaux. Une évaluation de la qualité de vie du patient par le médecin et par l’aidant naturel réalisée 2 à 3 semaines après le décès représente un risque de biais important. Il est difficile d’éviter que l’appréciation donnée par les médecins et aidants naturels, sur base de leur propre vécu (sentiment de culpabilité, impuissance, résignation…), pour la qualité de vie du patient pendant sa dernière semaine de vie ne soit différente du score que le patient lui-même aurait attribué. Nous pouvons considérer ce processus comme une limite sur le plan méthodologique, mais nous devons bien admettre qu’il n’est pas tellement évident d’imaginer d’autres méthodes d’évaluation.

 

Mise en perspective des résultats

Pour commencer, soulignons qu’il convient de faire preuve de prudence dans l’interprétation des résultats de cette étude. Après l’inclusion, tous les patients ont eux-mêmes noté leur qualité de vie au moyen du McGill Quality of Life Questionnaire (2). La qualité de vie pendant la dernière semaine de vie a toutefois été évaluée en additionnant trois scores (psychologique, somatique et bien-être global) établis après le décès par le médecin et par l’aidant naturel. Nous avons déjà évoqué plus haut le risque de biais de cette méthode. Il convient aussi de souligner que le fait de se contenter d’additionner une composante psychologique et une composante somatique va à l’encontre de la vision de l’OMS relative au patient en soins palliatifs. L’OMS distingue en effet 4 dimensions : somatique, psychologique, spirituelle et sociale (3). En outre, la qualité de vie en soins palliatifs et terminaux est très complexe et multifactorielle ; il n’en existe pas encore de définition précise (4).

 

Nous avons précédemment analysé dans la revue Minerva une synthèse méthodique (5) qui montrait qu’il y avait tout lieu de penser que différents traitements contre la douleur cancéreuse étaient efficaces, de même que le traitement de la dyspnée en cas de BPCO (traitement médicamenteux ou revalidation pulmonaire) et que l’assistance psychosociale en cas de dépression chez des patients présentant un cancer. L’efficacité des interventions était modérément étayée pour ce qui concerne la planification anticipée des soins (advance care planning), la continuité des soins et la charge de travail avec enregistrement de la satisfaction des prestataires de soins (6,7). Le protocole de la présente étude est tout autre et ne permet pas de tirer de conclusions en droite ligne à propos de certains traitements (organisationnels) dans le cadre des soins palliatifs. L’étude permet toutefois d’éclairer la plus-value de 9 facteurs qui déterminent quelque 20% de la variation en termes de qualité de la fin de vie. Cela signifie en même temps que nous ignorons ce qu’il en est des 80% restants. De plus en plus d’études suggèrent en effet que d’autres facteurs peuvent avoir une influence sur la qualité de vie en soins palliatifs ; citons notamment les caractéristiques personnelles (8), le niveau de formation, l’appartenance ethnique, la langue, les compétences culturelles des prestataires de soins et la qualité de la communication et de la relation entre le médecin et son malade (9).

Cette étude montre ainsi que la qualité de vie des patients en phase terminale est meilleure s’ils peuvent être soignés à domicile, sans sonde d’alimentation ni chimiothérapie, avec un médecin avec lequel ils ont une bonne relation de soins et en cas de rencontre du besoin spirituel du patient. Il est cependant nécessaire de continuer à évaluer l’efficacité d’interventions possibles pour implanter ces observations.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de cohorte permet de conclure que la qualité de vie des patients atteints d’un cancer en phase terminale sera améliorée surtout si ces patients peuvent être soignés à domicile sans thérapie invasive, s’il existe une bonne relation de soins avec le médecin traitant, si les patients peuvent mourir à domicile et en cas de rencontre des besoins spirituels du patient.

 

Pour la pratique

Lorsque l’objectif du traitement n’est plus la guérison mais la qualité de vie, il est encore possible de faire beaucoup pour augmenter la qualité de vie des patients. Les soins de fin de vie ont pour but de prévenir et de traiter la douleur et les autres symptômes, d’apporter un soutien aux prestataires de soins et aux proches, d’assurer la continuité des soins, de prendre des décisions sans préjugés, de veiller au confort spirituel, au maintien des capacités fonctionnelles et éventuellement à un prolongement de la durée de vie (1). La présente étude montre qu’une bonne qualité de fin de vie n’est pas uniquement une absence de douleur et de symptômes. Elle montre que, si c’est possible et souhaitable, en plus des points mentionnés ci-dessus, nous devons nous employer à soigner les patients atteints d’un cancer en phase terminale au domicile, de manière optimale et à éviter les hospitalisations, l’alimentation par sonde et la chimiothérapie au cours de la dernière semaine de vie.

 

 

Références

  1. Steinhauser KE, Christakis NA, Clipp EC, et al. Factors considered important at the end of life by patients, family, physicians, and other care providers. JAMA 2000;284:2476-82.
  2. Cohen SR, Mount BM, Bruera E, et al. Validity of the McGill Quality of Life Questionnaire in the palliative care setting: a multi-centre Canadian study demonstrating the importance of the existential domain. Palliat Med 1997;11:3-20.
  3. Sepúlveda C, Marlin A, Yoshida T, Ullrich A. Palliative Care: the World Health Organization's global perspective. J Pain Symptom Manage 2002;24:91-6.
  4. Gill TM, Feinstein AR. A critical appraisal of the quality of quality-of-life measurements. JAMA 1994;272:619-26.
  5. Lorenz KA, Lynn J, Dy SM, et al. Evidence for improving palliative care at the end of life: a systematic review. Ann Intern Med 2008;148:147-59.
  6. Chevalier P, Sturtewagen J-P. Soins palliatifs en fin de vie : des preuves ? MinervaF 2008;7(10):148-51.
  7. Chevalier P, Soenen K, Sturtewagen J-P, Vanhalewyn M. Soins de fin de vie : besoin de preuves aussi ? [Editorial] Minerva 2008;7(10):145.
  8. Siassi M, Weiss M, Hohenberger W, et al. Personality rather than clinical variables determines quality of life after major colorectal surgery. Dis Colon Rectum 2009;52:662-8.
  9. Zonderman AB, Evans MK. Improving patients' quality of life at the end of life: comment on "factors important to patients' quality of life at the end of life". Arch Intern Med 2012;172:1142-4.
Quels sont les facteurs influençant la qualité de la fin de vie ?

Auteurs

Vermandere M.
Academisch Centrum voor Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
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