Analyse


L’effet du soutien dans un groupe WhatsApp sur l’allaitement au début du post-partum


20 10 2023

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Sage-femme
Analyse de
Yurtsal B, Hasdemir Ö. Effects of the WhatsApp midwife breastfeeding support line on early postpartum breastfeeding process of mothers. Health Care Women Int 2022;43:1433-48. DOI: 10.1080/07399332.2021.1972303


Question clinique
Quel est l’effet du soutien et des conseils individuels 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 dans un groupe WhatsApp pendant deux mois, par rapport au soutien habituel à l’allaitement, sur le sentiment d’auto-efficacité des mères et sur les mesures anthropométriques des nourrissons au début du post-partum ?


Conclusion
Cette étude randomisée, contrôlée, menée en ouvert, présentant d’importantes lacunes méthodologiques, qui a été conduite dans un hôpital universitaire en Turquie, montre que les mères qui reçoivent des conseils et un soutien individuels 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 via WhatsApp pendant deux mois obtiennent de meilleurs résultats sur l’échelle du sentiment d’auto-efficacité dans l’allaitement maternel à la fin de l’intervention. De plus, à certains moments, il y avait également une différence entre le groupe intervention et le groupe témoin quant à la taille et quant au périmètre crânien des bébés. Cette étude ne nous apprend toutefois rien sur la différence entre les deux groupes en termes d’évolution des critères de jugement au fil du temps. Des recherches plus approfondies sont nécessaires avant que les résultats puissent être généralisés au contexte belge.


Contexte

Les recommandations de l’OMS et de l’UNICEF préconisent que les mères débutent l’allaitement maternel dans l’heure qui suit la naissance et allaitent exclusivement au sein jusqu’à ce que le bébé ait six mois, puis qu’elles combinent l’allaitement avec des aliments solides jusqu’à l’âge de 2 ans (1,2). Cependant, les taux d’allaitement mondiaux actuels sont inférieurs aux objectifs de 2030 fixés par l’OMS et l’UNICEF (2,3). Si les mères n’allaitent pas ou arrêtent trop tôt d’allaiter, c’est notamment parce qu’elles ne sont pas suffisamment informées des avantages de l’allaitement et qu’elles ne sont pas assez soutenues pendant l’allaitement (4-6). Minerva, dans un précédent commentaire, a traité de l’effet des interventions éducatives et de soutien sur la durée de l’allaitement, sur le sentiment d’auto-efficacité et sur les résultats associés. Les résultats de cette méta-analyse nous ont permis de conclure qu’une intervention éducative et informative à plusieurs volets prolongeait la durée de l’allaitement et augmentait le sentiment d’auto-efficacité de la mère (7,8). Mais l’analyse des sous-groupes indiquait en outre un effet positif d’une combinaison de discussions/ateliers prénatals avec un suivi téléphonique. WhatsApp, depuis son introduction en 2009, s’est imposé dans le monde entier comme canal de médias sociaux dans les domaines de l’éducation, du marché du travail et de la santé. Malgré cette utilisation répandue, l’effet du conseil aux mères allaitantes via WhatsApp sur l’allaitement n’a pas encore fait l’objet de recherche (9).  

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : femmes en bonne santé âgées de 18 ans ou plus, ayant accouché à terme d’un enfant en bonne santé dans un hôpital universitaire en Turquie, sans obstacle à l’allaitement pendant le post-partum, disposant d’un smartphone avec WhatsApp, ayant un diplôme d’études primaires, qui ont donné leur consentement éclairé pour la participation à l’étude
  • finalement, 100 participantes ont été incluses ; 55% des femmes avaient entre 21 et 30 ans, et 45% entre 31 et 40 ans ; 76% avaient au moins un diplôme d’études secondaires ; 93% n’avaient pas d’emploi rémunéré ; pour 68% des femmes, il s’agissait d’une grossesse planifiée ; pour 37% des femmes, il s’agissait d’un premier enfant ; 48% ont allaité dans les 30 minutes suivant la naissance, et 18% ont rencontré des problèmes lors du premier allaitement ; 30% avaient reçu une formation prénatale en allaitement. 

 

Protocole de l’étude

Étude randomisée, contrôlée, menée en ouvert avec deux groupes stratifiés en fonction de l’âge, du niveau de formation et de l’expérience antérieure en matière d’allaitement :

  • groupe intervention (n = 50) : les mères ont été affectées à un groupe WhatsApp et ont reçu pendant deux mois, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, un soutien et des conseils sur le lait maternel et l’allaitement ; les questions urgentes recevaient immédiatement une réponse, et les questions non urgentes recevaient une réponse au cours de la journée
  • groupe témoin (n = 50) : les mères ont bénéficié du soutien habituel en matière d’allaitement de la part de l’hôpital, connu comme un établissement de santé ami des bébés (« Golden Baby Friendly City ») selon le ministère de la Santé.

 

Mesure des résultats

  • sentiment d’auto-efficacité de la mère, mesuré à l’aide de l’échelle d’évaluation du sentiment d’auto-efficacité dans l’allaitement maternel (Breastfeeding Self-Efficacy Scale, BSES)
  • poids, taille et périmètre crânien du bébé 
    • les deux critères de jugement ont été suivis, tant dans le groupe intervention que dans le groupe témoin, au moyen d’un entretien en face-à-face avant le début de l’étude (dans les 24 heures suivant l’accouchement) et d’un questionnaire d’auto-évaluation en ligne (via WhatsApp) après deux mois
  • caractéristiques de l’allaitement (fréquence, durée, position, utilisation d’une tétine ou d’un biberon, passage à l’alimentation complémentaire et problèmes mammaires) 
    • ce critère de jugement n’a été suivi que dans le groupe intervention, au moyen d’un entretien en face-à-face avant le début de l’étude (dans les 24 heures suivant l’accouchement) et d’un questionnaire d’auto-évaluation en ligne (via WhatsApp) à la fin de la semaine 1, de la semaine 2, du mois 1 et du mois 2 
  • analyse avec le test U de Mann-Whitney et avec le test des rangs signés de Wilcoxon afin de comparer entre eux respectivement deux groupes indépendants et deux groupes dépendants, et avec le test de Friedman pour comparer plus de deux mesures répétées (au sein du groupe intervention ou du groupe témoin).

 

Résultats

  • après deux mois, le score moyen du sentiment d’auto-efficacité des mères avait augmenté dans le groupe intervention et avait diminué dans le groupe témoin (p = 0,001 pour la différence lors de la dernière mesure) (voir tableau).

 

Tableau. Comparaison des scores moyens des mères allaitantes sur l’échelle d’évaluation du sentiment d’auto-efficacité dans l’allaitement maternel (Breastfeeding Self-Efficacy Scale, BSES).

 

 

 

Groupe intervention

(WhatsApp)

Groupe témoin

(accompagnement habituel)

 

BSES

moyenne ± ET

mediane

(min-max)

moyenne ± ET

médiane

(min-max)

test*

 

Première mesure

(début de l’étude)

54,82 ± 9,50

56,50 (21-68)

57,98 ± 10,50

62,50 (24-70)

Z = -2,012

p = 0,044

Dernière mesure (après 2 mois)

62,44 ± 6,11

63,50 (46-70)

51,88 ± 12,02

53,50 (15-70)

Z = -4,857

p = 0,001

Test**

Z = -4,499 p = 0,001

Z = -3,953 p = 0,001

 

 

* test U de Mann-Whitney
** test des rangs signés de Wilcoxon

 

  • tant dans le groupe intervention que dans le groupe témoin, il y avait une augmentation statistiquement significative en termes de taille, de poids et de périmètre crânien (p = 0,001) ; dans le groupe intervention, par comparaison avec le groupe témoin, la taille du bébé était plus importante après 1 mois (moyenne 52,18 (ET 2,96) contre moyenne 51,11 (ET 2,57) ; p = 0,033)), ainsi qu’après 2 mois (moyenne 55,82 (ET 2,76) contre moyenne 54,06 (ET 3,22) ; p = 0,006)) ; le périmètre crânien du bébé après 2 mois était plus important dans le groupe intervention que dans le groupe témoin (moyenne 38,34 (ET 1,11) contre 37,79 (ET 1,54) ; p = 0,036)
  • les mères du groupe intervention souffraient de problèmes mammaires surtout au cours de la première semaine du post-partum ; les problèmes les plus fréquents étaient des mamelons fissurés et de l’engorgement des seins, mais ces problèmes se sont progressivement estompés après les deux premières semaines du post-partum.

 

Conclusion des auteurs

La ligne de soutien à l’allaitement par les sages-femmes au moyen de WhatsApp a eu un effet favorable sur l’allaitement chez les mères au début du post-partum et sur les mesures anthropométriques des bébés.

 

Financement de l’étude

Financement non décrit.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs ont mentionné qu’il n’y avait pas de conflits d’intérêt.

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

Cette étude randomisée contrôlée a été menée dans un seul hôpital universitaire en Turquie. Les chercheurs auraient calculé qu’il fallait inclure 100 mères (50 dans chaque groupe) pour que la puissance soit suffisante. Cependant, on ne sait pas sur quel critère de jugement (principal) se fonde ce calcul de puissance, et on ignore donc aussi quelle valeur a été présupposée comme différence cliniquement pertinente. Contrairement à la méthode de recrutement, les critères d’inclusion sont décrits de manière transparente. La randomisation a été stratifiée, mais on ne sait pas s’il y a eu préservation du secret de l’attribution. 
Les données ont été recueillies à l’aide de trois questionnaires : 1) formulaire d’information avec les données descriptives de la mère et de l’enfant, 2) version courte d’une échelle validée du sentiment d’auto-efficacité dans l’allaitement maternel (10) et 3) formulaire de suivi pour l’enregistrement des caractéristiques de l’allaitement telles que la durée, le type et la fréquence de l’allaitement. Cependant, ce dernier formulaire n’a été administré qu’aux mères du groupe intervention et ne permet donc pas d’établir de comparaison avec le groupe témoin. De ce fait, la mise en aveugle des enquêteurs était en outre compromise car ils savaient ainsi de quel groupe les participantes faisaient partie. Il est également problématique qu’un entretien en face-à-face n’ait été mené qu’au début de l’étude, tandis que des questionnaires d’auto-évaluation ont été utilisés ultérieurement. Lors de l’administration des questionnaires via l’auto-évaluation en ligne, l’opportunité sociale peut également jouer un rôle.  

 

Évaluation des résultats

Les résultats de cette étude suggèrent que l’intervention de sages-femmes via WhatsApp pourrait avoir un effet positif sur l’allaitement chez les mères ainsi que sur la taille et le périmètre crânien des nourrissons au début du post-partum. Lors du traitement des résultats, on a examiné la différence quant aux critères de jugement entre le groupe intervention et le groupe témoin uniquement à un moment précis. Nous ne savons donc rien de la différence entre les deux groupes en termes d’évolution des critères de jugement au fil du temps. De plus, aucun changement cliniquement pertinent dans les critères de jugement n’a été fixé, et l’on ne sait donc pas si les différences statistiques constatées sont également cliniquement pertinentes. Dans le groupe intervention, on a constaté que la plupart des problèmes d’allaitement (mamelons fissurés et engorgement) étaient signalés au cours de la première semaine du post-partum, mais qu’ils diminuaient progressivement à partir de la deuxième semaine. Comme ces résultats ne peuvent pas être comparés à ceux du groupe témoin, nous ne pouvons cependant rien dire de l’utilité de l’intervention pour la prévention des problèmes d’allaitement. Les auteurs n’expliquent pas pourquoi ce formulaire n’a pas été administré aux deux groupes. 
Dans la description de l’intervention, il n’est pas indiqué de manière transparente qui a répondu aux questions des mères via WhatsApp ni comment ces personnes ont été sélectionnées ou formées. S’agissait-il seulement de sages-femmes ou avait-on aussi fait appel à des femmes (formées) ayant connu la même situation ? 
Comme les auteurs eux-mêmes l’indiquent, il n’est pas possible de généraliser les résultats à toutes les mères en post-partum. Des recherches randomisées plus poussées dans un contexte belge ou européen sont donc certainement souhaitables avant de mettre en œuvre à grande échelle ce programme de soutien via WhatsApp. 

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Dans leurs recommandations, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario (RNAO) préconisent que les mères soient suivies afin de recevoir un soutien et des soins appropriés même après leur sortie de l’hôpital (11,12). La surveillance de la mère et du bébé par la sage-femme est également recommandée dans les guides de pratique du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) (13 et dans ceux du National Institute for Health and Care Excellence (NICE) (14). On attend de la sage-femme qu’elle apporte un soutien à l’allaitement (14-17). Aucun de ces guides ne précise sous quelle forme apporter ce soutien. Il n’existe (encore) aucun guide de pratique concernant l’utilisation de WhatsApp dans ce contexte.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée, contrôlée, menée en ouvert, présentant d’importantes lacunes méthodologiques, qui a été conduite dans un hôpital universitaire en Turquie, montre que les mères qui reçoivent des conseils et un soutien individuels 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 via WhatsApp pendant deux mois obtiennent de meilleurs résultats sur l’échelle du sentiment d’auto-efficacité dans l’allaitement maternel à la fin de l’intervention. De plus, à certains moments, il y avait également une différence entre le groupe intervention et le groupe témoin quant à la taille et quant au périmètre crânien des bébés. Cette étude ne nous apprend toutefois rien sur la différence entre les deux groupes en termes d’évolution des critères de jugement au fil du temps. Des recherches plus approfondies sont nécessaires avant que les résultats puissent être généralisés au contexte belge. 

 

 


Références 

  1. WHO. Infant and young child feeding. Published 9/06/2021. (Accessed 19/07/2023.) Url: https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/infant-and-young-child-feeding
  2. WHO, UNICEF. The extension of the 2025 maternal, infant and young child nutrition targets to 2030. WHO/UNICEF discussion paper 12/05/2021. (Accessed July 19/07/2023.) Url: https://data.unicef.org/resources/extension-of-2025-maternal-infant-young-child-nutrition-targets-2030/
  3. Global Breastfeeding Collective. Global breastfeeding scorecard 2022: protecting breastfeeding through further investments and policy actions. UNICEF/WHO 7/12/2022. (Accessed 19/07/2023.) Url: https://www.who.int/publications/i/item/WHO-HEP-NFS-22.6
  4. Karacam Z, Saglik M. Breastfeeding problems and interventions performed on problems: systematic review based on studies made in Turkey. Turk Pediatri Ars 2018;53:134-48. DOI: 10.5152/TurkPediatriArs.2018.6350
  5. Wadani M, El-Houfey A. Factors that influence exclusive breastfeeding: a literature review. IJND 2017;7:24-31.
  6. Keevash J, Norman A, Forrest H, Mortimer S. What influences women to stop or continue breastfeeding? A thematic analysis. BJM 2018;26:651-8. DOI: 10.12968/bjom.2018.26.10.651
  7. Debonnet S, Embo M. Les interventions éducatives et de soutien favorisent-elles l’allaitement maternel dans la durée chez les mères primipares ? MinervaF 2021;20(10):123-7
  8. Wong MS, Mou H, Chien WT. Effectiveness of educational and supportive intervention for primiparous women on breastfeeding related outcomes and breastfeeding self-efficacy: a systematic review and meta-analysis. Int J Nurs Stud 2021;117:103874. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2021.103874
  9. Yurtsal B, Hasdemir Ö. Effects of the WhatsApp midwife breastfeeding support line on early postpartum breastfeeding process of mothers. Health Care Women Int 2022;43:1433-48. DOI: 10.1080/07399332.2021.1972303 
  10. Tuthill EL, McGrath JM, Graber M, et al. Breastfeeding self-efficacy: a critical review of available instruments. J Hum Lact 2016;32:35-45. DOI: 10.1177/0890334415599533 
  11. Guideline: Protecting, promoting and supporting breastfeeding in facilities providing maternity and newborn services. WHO 2017. Url: https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/259386/9789241550086-eng.pdf
  12. RNAO. Best practice guideline: Breastfeeding- promoting and supporting the initiation, exclusivity, and continuation of breastfeeding for newborns, infants and young children, 3rd ed. 2018. Pdf available: https://rnao.ca/media/3798/download
  13. Benahmed N, Devos C, San Miguel L, et al.  Caring for mothers and newborns after uncomplicated delivery: towards integrated postnatal care. Health Technology Assessment. Brussels, KCE 2014. KCE Report 232. D/2014/10.273/82.
  14. National Institute for health and Clinical Excellence. Routine postnatal care of women and their babies. NICE, 2006, updated 2014.
  15. Baby friendly initiative. Baby friendly initiative: evidence-informed key messages and resources. Best start resource centre/BFI, 2013. Url: https://www.babyfriendlyusa.org/wp-content/uploads/2021/07/Baby-Friendly-GEC-Final.pdf
  16. National institute for health and care excellence. Postnatal health: quality standard 37. NICE, published 16/07/2013. Last updated: 27/09/2022.
  17. Koninklijke Nederlandse Organisatie van Verloskundigen. Multidisciplinaire richtlijn borstvoeding. KNOV, 2012.


Auteurs

Debonnet S.
vroedvrouw, BFHI (Baby Friendly Hospital Initiative), FOD Volksgezondheid en lactatiekundige IBCLC (International Board Certified Lactation Consultant)
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Embo M.
vroedvrouw, UGent en Arteveldehogeschool
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Code


O92
W19


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