Revue d'Evidence-Based Medicine



Dépression majeure résistante au citalopram : ajouter un antidépresseur ou en changer ?



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 2 Page 25 - 28

Professions de santé


Analyse de
1. Rush AJ, Trivedi MH, Wisniewski SR, et al. Bupropion-SR, sertraline, or venlafaxine-XR after failure of SSRIs for depression. N Engl J Med 2006;354:1231-42. 2. Trivedi MH, Fava M, Wisniewski SR, et al. Medication augmentation after the failure of SSRIs for depression. N Engl J Med 2006;354:1243-52.


Question clinique
1. Quelle est l’efficacité, dans une dépression majeure résistante au citalopram, du passage (« switching ») au bupropion, à la sertraline ou à la venlafaxine ? 2. Quelle est l’efficacité, dans une dépression majeure résistante au citalopram, de l’ajout (« augmentation ») de bupropion ou de buspirone au traitement ?


Conclusion
Les auteurs de ces deux études concluent que, dans les dépressions majeures résistantes au citalopram, un passage au bupropion, à la sertraline ou à la venlafaxine est efficace chez un patient sur quatre et que l’ajout de bupropion ou de buspirone est également efficace chez un patient sur quatre. Nous ne pouvons cependant tirer aucune conclusion pour la pratique, entre autres en raison de l’absence d’un groupe contrôle. Il n’existe donc que des recommandations basées sur des consensus pour la prise en charge de la dépression majeure résistante au traitement : l’instauration d’une thérapie cognitivo-comportementale ou le transfert vers la deuxième ligne apparaissent être actuellement les alternatives justifiées.


 

Résumé

Contexte

Pour environ la moitié des patients présentant une dépression majeure, un traitement avec un seul antidépresseur serait insuffisant. L’efficacité du passage vers une autre médication ou d’un ajout de médicament est insuffisamment étudiée.

Population étudiée

Dix-huit polycliniques de première ligne et 23 polycliniques psychiatriques ont recruté un ensemble de 4 177 patients présentant une dépression majeure selon les critères du DSM IV. Les critères d’inclusion sont larges et les critères d’exclusion minimisés pour augmenter la possibilité de généraliser les résultats. L’âge moyen est de 41 à 42 ans (ET 13) ; près de 59% des participants sont des femmes et près de 75% sont de race blanche. Les trois quarts des patients présentent une dépression majeure récidivante et plus de 17% ont présenté une tentative de suicide.   

Méthodologie

Tous les participants reçoivent du citalopram comme traitement d’attaque. Les 1 439 patients qui, après un traitement d’en moyenne douze semaines, n’obtiennent pas de rémission ou qui s’avèrent intolérants au citalopram, reçoivent dans l’étude de Rush et coll. soit du bupropion jusqu’à une dose maximale de 400 mg/j (n=239), soit de la sertraline jusqu’à une dose maximale de 200 mg/j (n=238), soit de la venlafaxine jusqu’à une dose maximale de 375 mg/j (n=250). Dans l’étude de Trivedi et coll., ils reçoivent un complément de médication : du bupropion jusqu’à une dose maximale de 400 mg/j (n=279) ou de la buspirone jusqu’à une dose maximale de 60 mg/j (n=286).

Les patients ont la possibilité, avant la randomisation, de refuser certaines options thérapeutiques et d’ajouter une thérapie cognitivo-comportementale à leur choix thérapeutique. Tant les patients que les soignants sont informés du traitement. A la quatorzième semaine, l’étude est clôturée par un entretien téléphonique effectué par des collaborateurs qui ne sont pas informés du traitement suivi.                          

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la rémission des symptômes (score ≤7) sur la Hamilton Rating Scale for Depression à 17 items (HRSD-17). Le critère de jugement secondaire est la rémission (score ≤5) sur le QIDS-SR-16. L’analyse est faite en intention de traiter.

Résultats

La durée moyenne d’étude est de 8,3 (ET 5) à 10,7 (ET 4,7) semaines. Il n’y a pas de différence entre les trois groupes qui sont passés à l’un des trois médicaments alternatifs en ce qui concerne le critère de jugement primaire : 21,3% de rémission dans le groupe bupropion, 17,6% dans le groupe sertraline et 24,8% dans le groupe venlafaxine. Il n’y a pas de différence significative dans le pourcentage de rémission, ni dans le délai nécessaire pour obtenir une rémission sur l’échelle QIDS-SR-16. Il n’y a pas de différence significative pour le nombre total d’effets indésirables : 20% ne présentent « pas » d’effets indésirables, et des effets indésirables sévères sont observés chez 13% du groupe bupropion et chez 19% des groupes sertraline et venlafaxine. L’interruption du traitement en raison d’intolérance est de 27,2% dans le groupe bupropion, 21% dans le groupe sertraline et 21,2% dans le groupe venlafaxine. Deux tentatives de suicide sont mentionnées tant dans le groupe sertraline que dans le groupe venlafaxine.

Le critère de jugement primaire ne présente pas de différence significative entre les deux groupes qui rajoutent un des deux médicaments alternatifs : 29,7% obtiennent une rémission dans le groupe bupropion, 30,1% dans le groupe buspirone. Il n’y a pas de différence significative pour le pourcentage de rémission ni pour le délai nécessaire pour obtenir une rémission sur l’échelle QIDS-SR-16. Il n’y a pas de différence significative pour le nombre total d’effets indésirables et 10% présentent des effets indésirables sévères. Seules les sorties d’étude pour intolérance diffèrent de façon significative entre les deux groupes : 12,5% dans le groupe bupropion versus 20,6% dans le groupe buspirone (p=0,001). Il n’y a pas de suicide durant la période d’étude.

Conclusion des auteurs

Rush et coll. concluent qu’un quart des patients présentant une dépression majeure résistante au citalopram, connaît une rémission des symptômes lors du passage à un autre antidépresseur. Tant le bupropion que la sertraline et que la venlafaxine constituent un choix raisonnable comme deuxième étape dans le traitement de la dépression majeure.        

Trivedi et coll. concluent qu’il est utile d’ajouter du bupropion ou de la buspirone au traitement existant dans une dépression majeure résistante au citalopram. L’ajout de bupropion permet d’obtenir une réduction plus importante du nombre et de la sévérité des symptômes et présente moins d’effets indésirables.

Financement

Les études sont financées par le National Institute of Mental Health et le National Institutes of Health (E.-U.). Les firmes Bristol-Myers Squibb, Forest Pharmaceuticals, GlaxoSmithKline, King Pharmaceuticals, Organon, Pfizer et Wyeth-Ayerst Laboratories ont fourni gratuitement les médicaments de l’étude.

Conflits d’intérêt

La plupart des auteurs ont reçu des honoraires comme consultants ou des fonds de recherche de la part des différentes firmes pharmaceutiques (parfois plus de dix). Une rémunération dans le cadre de cette étude n’est pas spécifiée.

Discussion

Méthodologie

Bon nombre de remarques peuvent être faites concernant le protocole de ces études. Le groupe étudié est constitué d’une moyenne de 75% de patients présentant une dépression majeure récidivante, ayant une anamnèse familiale fort chargée (50%) et ayant présenté une tentative de suicide (un patient sur six). Ceci n’est pas représentatif de la première ligne de soins où seule une dépression majeure sur deux connaît une récidive 1. La durée des études est de 10 à 14 semaines, mais dans la deuxième étude, 14 à 21% des patients ne sont traités que durant quatre semaines. Le consensus actuel recommande un traitement d’au moins six mois 2-4. En outre, la période durant laquelle des effets indésirables sont observés est fort courte. Les cliniciens administrent souvent ces médicaments durant une période deux fois plus longue. Dans la deuxième étude, sur la période très courte, 12 à 20% des patients arrêtent leur traitement en raison des effets indésirables. Aucun groupe placebo n’est constitué. Des arguments éthiques pourraient être avancés, jugeant irresponsable de ne pas débuter un traitement antidépresseur lors d’une dépression majeure, mais d’autres arguments pourraient plaider contre ce point de vue. Les patients ont déjà reçu un antidépresseur, sans résultat. Seuls 30% des patients ont connu une rémission, malgré les doses élevées de citalopram (>40 mg/jour) avec un traitement sur une période assez longue (au moins sept semaines) 5. Nous ne savons toujours pas si le remplacement ou l’ajout d’autres antidépresseurs donne un quelconque résultat. Les chercheurs ont même offert aux participants le choix de ne pas prendre de médicament. Les résultats de ces petits sous-groupes ne sont hélas pas mentionnés. Pour terminer, les auteurs regrettent eux-mêmes l’absence de groupe placebo « …cette donnée ne permet pas d’exclure qu'une rémission spontanée,… , ou l’usage du citalopram seul puisse être l’explication des résultats observés ». Sans commentaire. L’éditorial accompagnant cet article regrette également cette opportunité manquée 6.            

Résumé trompeur

Les auteurs mentionnent dans leur résumé qu’un quart des patients obtient une rémission, alors que dans le texte il s’agit de 20% (un sur cinq). Ils reprennent en fait les chiffres du critère de jugement secondaire, notamment la réponse thérapeutique, qui est en effet d’un quart. Un exemple de plus de manipulation d’un résumé 7. Le problème est identique dans l’étude de Trivedi et coll. Pour le critère d’évaluation primaire, il n’y a pas de différence entre les deux médications. Seul le résultat pour le critère de jugement secondaire semble plus favorable au bupropion, et c’est ce résultat qui est repris dans l’abstract… qui se tait quant au résultat négatif pour le critère d’évaluation primaire.

Sources de biais

Comme les patients ont le choix pour leur groupe d’étude, l’étude n’est pas réalisée en double aveugle. Les médecins traitants et les patients connaissent le traitement, les doses sont adaptées et les effets indésirables évalués en connaissance de cause. Après quatorze semaines, un score global est calculé sur la base d’un entretien téléphonique effectué par des personnes non au fait du traitement administré. Le protocole écarte la plupart des autres antidépresseurs, seule la trazodone est autorisée à une dose de 200 mg le soir, dose moyenne utilisée dans le traitement de la dépression 8. Dans l’étude de Rush, 15,7% du groupe bupropion, 19,3% du groupe sertraline et 16,5% du groupe venlafaxine utilisent la trazodone. Dans l’étude de Trivedi, un cinquième des patients utilise la trazodone. Un patient sur cinq à six utilise donc un deuxième antidépresseur, ce qui biaise les résultats. Ce n’est donc pas un patient sur quatre ou cinq qui réagit, mais un patient sur cinq ou six et ce tant dans le groupe qui change d’antidépresseur que dans le groupe qui en consomme un supplémentaire.

Rush et coll. concluent que les résultats du changement d’antidépresseur sont pertinents sur le plan clinique. Cette analyse montre que moins d’un patient sur cinq réagit encore à un antidépresseur. Est-ce encore cliniquement pertinent ? Par ailleurs, ils admettent dans leur discussion qu’il est impossible de conclure qu’un des trois médicaments soit efficace dans la dépression majeure résistante au traitement, en raison de l’absence d’un groupe contrôle. Ils soufflent le chaud et le froid. Trivedi et coll. avancent que les deux médicaments « appear to be useful in actual clinical settings ». Avec une chance sur cinq seulement. Le bupropion est encore fort utilisé aux E.-U. comme antidépresseur, mais en Belgique il n’est enregistré que comme aide au sevrage tabagique 8. Une étude épidémiologique récente semble montrer que davantage de malformations cardiaques congénitales sont rapportées chez des femmes qui ont pris du bupropion durant la grossesse 9.

D’autres études concernant un changement d’antidépresseur ?

Peu d’études s’intéressent à la prise en charge de la dépression majeure résistante au traitement 10. Clinical evidence 11 renvoie à une RCT de 168 patients ambulants qui compare un passage de la sertraline à l’imipramine, au passage de l’imipramine vers la sertraline. Il n’y a pas de différence pour les critères « réponse » et sur le score moyen de dépression sur l’échelle d’Hamilton après douze semaines. Les guides de pratique diffèrent fortement entre eux parce qu’ils sont basés sur des consensus. Le CBO 3 plaide pour l’initiation d’un IMAO, NICE 2 recommande l’association avec une thérapie cognitivo-comportementale et Prodigy 4 une référence à un spécialiste.                                       

D’autres études concernant l’ajout d’un médicament ?

Le rapport NICE2 ne mentionne que des études fort courtes avec principalement de petits nombres de patients. L’ajout de lithium (35 patients) et d’une thérapie cognitivo-comportementale (44 patients) serait plus efficace qu’un antidépresseur seul. A dose de référence, l’association de deux antidépresseurs semble plus efficace qu’un seul (300 patients), mais il ne s’agit pas de fortes doses. Aucune majoration d’efficacité n’est observée en cas d’ajout d’antiépileptiques, de pindolol, de triiodothyronine, de benzodiazépines, de neuroleptiques ni de buspirone (108 patients).

Conclusion

Les auteurs de ces deux études concluent que, dans les dépressions majeures résistantes au citalopram, un passage au bupropion, à la sertraline ou à la venlafaxine est efficace chez un patient sur quatre et que l’ajout de bupropion ou de buspirone est également efficace chez un patient sur quatre. Nous ne pouvons cependant tirer aucune conclusion pour la pratique, entre autres en raison de l’absence d’un groupe contrôle. Il n’existe donc que des recommandations basées sur des consensus pour la prise en charge de la dépression majeure résistante au traitement : l’instauration d’une thérapie cognitivo-comportementale ou le transfert vers la deuxième ligne apparaissent être actuellement les alternatives justifiées.

 

Références

  1. van Weel-Baumgarten EM, Schers HJ, van den Bosch WJ, et al. Long-term follow-up of depression among patients in the community and in family practice settings. A systematic review. J Fam Pract 2000;49:1113-20.
  2. National Institute for Health and Clinical Excellence. Depression: management of depression in primary and secondary care. NICE-guideline no 23, 2004.
  3. CBO. Multidiciplinaire Richtlijn Depressie, 2005. www.cbo.nl/product/richtlijnen/folder20021023121843/rl_depressie_2005.pdf
  4. Prodigy Guidance: Depression, 2004.
  5. Trivedi MH, Rush AS, Wisniewski SR, et al. Evaluation of outcomes with citalopram for depression using measurement-based care in STAR'D: Implications for clinical practice. Am J Psychiatry 2006,163:28-40.
  6. Rubinow DR. Treatment strategies after SSRI failure. Good news and bad news. N Engl J Med 2006;354:1305-7.
  7. van Driel M, Chevalier P. Lipid lowering drugs in diabetes: Abstract was misleading [Letter]. BMJ 2006;332:1272.
  8. Bogaert M, Maloteaux JM. Répertoire Commenté des médicaments. CBIP 2006. www.cbip.be
  9. Bupropion, pas pendant la grossesse non plus. Rev Prescr 2005;25:590.
  10. Project Farmaka / Minerva. L’usage efficient des antidépresseurs dans le traitement de la dépression. Recherche systématique dans la littérature. Document de synthèse. Réunion de Consensus INAMI, Bruxelles 2006 (peut être demandé auprès de l’INAMI).
  11. Butler R, Carney S, Cipriani A, et al. Depression in adults. Clin Evid 2006;15:1366-406.

 

Noms de marque

Bupropion : Zyban® (non enregistré comme antidépresseur en Belgique)

Buspirone : Buspar®

Citalopram : Cipramil®, Citalopram EG®, Citalopram Sandoz®, Citalopram Teva®, Citalopram-Ratiopharm®, Merck-Citalopram®

Imipramine : Anafranil®, Tofranil®

Sertraline : Doc Sertraline®, Merck-Sertraline®, Serlain®, Sertraline EG®, Sertraline Sandozâ, Sertraline-Ratiopharm®

Trazodone : Doc Trazodone®, Nestrolan®, Trazolan®

Venlafaxine : Efexor®

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